Un témoignage de Deva Koumarane
Nous avons rencontré Deva Koumarane, français d’origine indienne né à Pondichéry. Poète, journaliste et enseignant, il a organisé diverses manifestations culturelles autour de l’Inde et du cinéma indien. Il connaît le Louxor de longue date pour l’avoir fréquenté dès 1971 pendant ses années d’étudiant lorsque ce cinéma projetait régulièrement devant une salle comble des films indiens de langue hindi, sous-titrés en français et en arabe, qui n’avaient pas à l’époque reçu le label « Bollywood ». Il apporte ici un premier éclairage sur ce cinéma populaire indien qui attirait les foules au Louxor.
Une affichette retrouvée dans le fonds Eldorado (archives de l’Institut français d’architecture) nous avait incités à nous intéresser à cette facette de la programmation du Louxor. Elle annonce une programmation exceptionnelle au Louxor: le «monument du cinéma indien », Qurbani, y sera projeté « pour la première fois » du 8 au 22 octobre 1980, sous-titré en français et en arabe. Qurbani, sorti en 1980, est réalisé par Feroz Khan avec dans les trois rôles principaux Feroz Kahn, Vinod Khanna et Zeenat Aman. Rivalités amoureuses, scènes d’action, numéros de danse et de chant, grands acteurs : tous les ingrédients étaient réunis pour que le film soit un immense succès en Inde. Quant aux chansons du film, elles comptèrent parmi les meilleures ventes de l’année. Qurbani fait l’objet d’un remake par Fardeen Kahn, fils du réalisateur Féroz Kahn mort en 2009.
Deva Koumarane reviendra plus longuement dans un prochain entretien sur l’histoire du cinéma indien et l’état actuel de cet art qui est aussi une puissante industrie.
Avant d’être connu aujourd’hui sous le vocable de BOLLYWOOD, mot formé des deux premières lettres empruntées à BOMBAY, capitale du cinéma indien, et les autres lettres à HOLLYWOOD, capitale du cinéma mondial, le cinéma populaire indien dans les années 60-80 n’était regardé et apprécié que par les immigrés non européens vivant dans la région parisienne.
Le public occidental cinéphile s’intéressait plutôt aux films réalisés par Satyajit Ray (1921-1992), des films sur les réalités quotidiennes de la vie de l’Inde. En 1956 le Festival de Cannes distinguait son film Pather Panchali, premier volet d’une trilogie de la misère et de la révolte (adapté du roman de B. Banerji). Le public occidental découvrira ses autres films comme Le Salon de Musique (1958), La Déesse (1960), La Grande ville (1963), Charulata (1964), Les Joueurs d’échecs, La Maison et le Monde (1984).
Le cinéma indien au Louxor
Dès la fin des années 1970 mais surtout dans les années 1980, le Louxor était l’une des principales salles de cinéma à Paris qui programmait régulièrement des films indiens1 de langue hindi sous-titrés en français et en arabe. Ces films n’avaient pas à l’époque reçu le label Bollywood. Les immigrés originaires du Maghreb, de l’Afrique Noire et des originaires des anciennes Indes Françaises allaient avec leurs femmes et leurs enfants rêver devant les images féeriques et multicolores venues de l’Inde, c’est-à-dire d’un Orient qui leur était à la fois lointain et familier. Parmi eux, ceux qui avaient déjà goûté aux charmes de ces films dans leurs pays respectifs se souvenaient de ce fameux film hindi, Aan, traduit en français par Mangala, fille des Indes et Mother India. Leur imaginaire avait été nourri par des acteurs fétiches comme Raj Kapoor, Dev Anand, Dilip Kumar, Amitabh Bachchan, Dharmendra, et des actrices à la beauté enivrante telles que Nargis, Vijayathimla, Hema Malini, Madhu Bala, Sharmila Tagore et tant d’autres flottaient devant eux comme de doux pétales de roses du Bengale.
Le film bollywoodien est un rendez-vous du rêve, du drame, de la joie, de la comédie, de la violence, de la spiritualité, de l’amour, de la souffrance, du bien, du mal, du désespoir, de l’espoir, de la danse, de la musique, de la chanson, de la morale et d’autres choses encore, bonnes ou mauvaises.
Le cinéma indien, ou plus exactement les cinémas2 indiens, naquirent dans plusieurs régions de l’Inde. Ils continuent d’aborder tous les sujets touchant à l’Inde libre mais enchaînée à des traditions ancestrales, comme les castes, la situation dramatique des veuves, le mariage des enfants, les mariages forcés, les chasseurs de dot, les injustices sociales, la situation des femmes, les intégrismes religieux, etc.
Le cinéma indien, dit de Bollywood, n’est plus vu uniquement par les immigrés d’Afrique, d’Asie du Sud-est, du Maghreb, mais également par tout public curieux de découvrir des horizons à la fois lointains et proches. Il fait l’objet de festivals, les films sont projetés dans des salles où le cinéma populaire de l’Inde n’avait jadis pas droit de cité. Le cinéma indien avec ses chansons, ses poèmes, ses musiques, ses danses, a toujours son public, fidèle et amoureux.. Chaque film indien, qu’il soit tourné en hindi, en tamoul, en malayalam, en bengali, en kannada, est pareil aux plats indiens : à la fois épicés, pimentés, sucrés, amers, parfumés… tourné vers l’universel.
Au Louxor, c’est avec un film indien que cette salle ferma définitivement ses portes le 30 novembre 1983. Qaid, produit et réalisé par Atma Ram, avec Vinod Khanna, Leena Chandavarkar, Keshto Mukherjee and K. N. Singh.
Reverra-t-on bientôt du cinéma indien au Louxor ?
Deva Koumarane | ©lesamisdulouxor.fr
Notes
1. Nous publierons prochainement l’état de nos recherches sur la programmation des films indiens au Louxor.
2. Deva Koumarane nous parlera plus longuement du cinéma tamoul dans un prochain article.
Signalons que se tient au Musée Guimet la manifestation « Ete indien 2010 : Les mondes de Satyajit Ray ».