Nous avons rencontré Xavier Delamare, témoin privilégié de l’histoire du Louxor. Attiré dès son jeune âge par le spectacle et les salles de cinéma, il les a beaucoup fréquentées, en cinéphile mais aussi en raison de ses activités professionnelles. Nous le remercions de nous avoir longuement parlé du Louxor et de nous autoriser à publier quelques-unes de ses photos.
Comment en êtes vous-venu à vous intéresser aux salles de cinéma et au Louxor ?
Je suis un autodidacte, j’ai tout appris sur le terrain. Pendant mon service militaire, j’ai rencontré une amie dont le père avait un cinéma à Saint-Mandé Tourelles. C’est là, au retour du service, qu’a eu lieu mon apprentissage : j’ai fait tout ce qu’il y a à faire dans une salle de cinéma et je me suis formé sur le tas. J’ai aussi travaillé dans le circuit Rochman qui avait créé les Trois Luxembourg et suis devenu chef de poste à 23 ans avec la responsabilité du cinéma et des 10 personnes qui y travaillaient. À l’époque, c’était un complexe ultra moderne pourvu de la dernière technologie et la salle marchait très bien. Puis j’ai été assistant directeur chez UGC. Mais c’est surtout lorsque j’ai travaillé pour la société Batido que j’ai appris à connaître tous les cinémas de la région parisienne, dont le Louxor. Pendant au moins neuf ans j’ai été représentant de cette société qui commercialisait les Glaces Gervais et autres Eskimos : j’ai donc écumé toutes les salles, surtout celles de Paris et d’Île-de-France, et j’aimais bien discuter avec tous les gens qui y travaillaient, les exploitants mais aussi les ouvreuses et les projectionnistes.
Parallèlement, j’ai beaucoup apprécié ma collaboration avec Francis Lacloche, notamment dans le cadre de l’exposition de 1983, « Le cinéma dans ses temples », en établissant les fiches des nombreuses salles qui étaient présentées et qui sont répertoriées dans les archives du Fonds Eldorado.
Et ces différentes activités vous ont amené au Louxor …
J’y allais au cinéma et je me souviens par exemple d’y avoir vu tous les films avec Oum Kalsoum et Farid El Atrache, à l’époque où le Louxor s’est mis à programmer des films égyptiens, marocains, etc. Mais j’y allais aussi et surtout pour des raisons professionnelles. Dans le cadre de mes activités chez Batido, je faisais l’encaissement hebdomadaire de la recette des ventes d’Eskimos et confiseries. J’allais donc toutes les semaines au Louxor et je me souviens très bien du bâtiment et du personnel. J’ai bien connu les ouvreuses et le dernier directeur, Daniel Le Pluard.
Quel souvenir en gardez-vous ?
Je me souviens de lui avec beaucoup de sympathie. Daniel Le Pluard a pris la direction de la salle du Louxor, en 1975 je crois, et s’est beaucoup investi pour lui donner une nouvelle impulsion. Ce n’était pas facile mais il y croyait. C’était un directeur entreprenant, il a pris des initiatives en matière de programmation. Il a pris soin de la salle, des travaux ont été engagés, des fauteuils ont été changés.
Le Louxor n’était pas une salle de mauvaise qualité. Au contraire, sur le plan technique, elle était bien équipée. La cabine de projection était bien située, au niveau du premier balcon, exactement face à l’écran ; le faisceau lumineux dirigé tout droit vers l’écran garantit une image de meilleure qualité qu’avec d’autres systèmes comme la rétroprojection.
Il s’agit donc du milieu des années 70 et suivantes. On entend dire que le Louxor allait très mal. Est-ce vrai ?
C’est plus compliqué et il faut nuancer. Il y a eu des difficultés au début des années 70, une chute de la qualité des films, divers problèmes de petits trafics, etc. Mais l’arrivée d’un nouveau directeur a changé la donne avec une reprise en main. Jusqu’au début des années 80, le Louxor marchait plutôt bien, avec un directeur au départ plein d’allant. Je me souviens de dimanches où la salle était pleine à craquer, y compris les balcons. En tant que représentant de la Société Batido, je sais que la recette que je récoltais était très bonne. Et il y a eu des efforts d’adaptation de la programmation au public. Les graves difficultés sont venues plus tard.
Parlons justement de cette adaptation de la programmation. Vous avez surtout connu le Louxor à l’époque des films « exotiques » ?
Il n’y avait pas que les films exotiques mais sans abandonner totalement le créneau des films d’action ou des westerns, il est vrai que le directeur a choisi de s’adapter au changement de population dans le quartier, donc au nouveau public : les immigrés (du Maghreb essentiellement) très nombreux à vivre à la Goutte d’Or et dans le Nord-est de Paris. Donc à cette époque (avant l’arrivée massive des films indiens à la fin des années 70 et surtout au début des années 80), le directeur programmait aussi de nombreux films algériens, égyptiens, tunisiens. De plus, le cinéma ici pratiquait des prix bas par rapport aux salles parisiennes. Il était donc accessible à une clientèle populaire.
Mais la programmation n’était pas faite par Pathé ?
Non. Le Louxor est un cas à part. Pathé ne s’occupait plus des programmes. Le directeur devait se débrouiller seul avec les distributeurs pour trouver les films susceptibles de plaire à sa clientèle. On peut imaginer que ce n’était pas toujours facile.
En dehors de la salle elle-même, gardez-vous un souvenir des lieux ?
Au dernier étage, il y avait un bel appartement, occupé, à certaines périodes de l’exploitation du Louxor, par le directeur. Je me souviens qu’au deuxième sous-sol se trouvait ce qu’on appelait « la forge » : un atelier de réparation des appareils Pathé ; on pouvait y fabriquer les pièces manquantes. A la fin, des fauteuils anciens y étaient entassés.
Lors du déménagement, à la fermeture du Louxor, avec Daniel Le Pluard, nous y avons trouvé des appareils datant des débuts du cinéma, des piles utilisées au début du parlant qui alimentaient les amplis. L’une d’entre elles a été montrée à l’exposition organisée par Francis Lacloche.
Dans l’entrée se trouvait un Photomaton, qui était une source de recettes supplémentaires, tout comme les boissons. Il y avait aussi des loges et des coulisses.
Vous souvenez-vous du nombre de personnes qui travaillaient au Louxor ?
Le personnel se composait du directeur (en l’occurrence j’ai surtout connu Daniel Le Pluard), d’un assistant, de deux projectionnistes, de deux caissières et des ouvreuses. Les ouvreuses, qui à un moment donné étaient au nombre de quatre, étaient payées au SMIC, pourboires en sus. Mais à une certaine époque (dans les années 50), lorsque le cinéma avait le vent en poupe, et que le Louxor proposait encore des films très récents, aux ouvreuses « maison » venait s’ajouter régulièrement une ouvreuse envoyée par Pathé pour suivre certains films à succès afin d’en proposer le programme. Elle tournait de salle en salle pour accompagner le film.
Par la suite le nombre d’ouvreuses a diminué et à la fin, elles n’accompagnaient même pas les clients dans la salle mais se contentaient de déchirer leur ticket et de les faire entrer.
On entend souvent dire que le Louxor était mal fréquenté, un lieu de trafic, etc. Vous en donnez une image différente.
Il y a plusieurs facettes. On ne peut pas nier qu’à une certaine époque, au début des années 70, et notamment avant les efforts faits par Daniel Le Pluard, il y avait des petits trafics, de la drague au sous-sol ou au balcon … En dehors de cela, c’était de toute façon un cinéma populaire, avec des habitudes et une atmosphère qui n’étaient pas celle des salles des cinéphiles du Quartier latin. Et si la salle était souvent pleine, c’est bien parce qu’elle attirait des vrais spectateurs qui venaient souvent en famille.
Pourtant le Louxor a fini par aller très mal, Pathé voulait vendre et la salle a fermé.
Les choses sont allées très vite. Il est vrai qu’à la fin des années 70 et au début de 1980, il y a eu comme dans de nombreux cinémas, une baisse de fréquentation ; puis la chute a été très brutale : en deux ou trois ans (la fermeture a eu lieu en novembre 1983) la salle a vraiment commencé à péricliter. C’était une période de grande incertitude (mais pas seulement au Louxor, d’ailleurs) : il était impossible de prévoir si un film marcherait ou pas. Un facteur a peut-être pu jouer contre le Louxor: la concurrence avec un cinéma de Montreuil qui programmait des films indiens, détournant ainsi une partie du public.
Vous avez été témoin du déménagement du Louxor ?
Oui, tout est parti, c’était fini. Et comme le Louxor, la plupart des salles que j’avais fréquentées pour mon travail ont fermé. Il me reste heureusement les photos … Et le Louxor, lui, va revivre.
Propos recueillis par Jean-Marcel Humbert et Annie Musitelli | ©lesamisdulouxor.fr