Un témoignage de Jean-Pierre Leroux
Cela doit être en 1973 que j’ai vu le film de Gillo Pontecorvo La Bataille d’Alger au Louxor. Un film réalisé en 1965, mais qui avait été retiré des écrans sous la pression des groupes d’extrême droite. J’étais accompagné de ma compagne et d’un journaliste algérien.–
La salle était comble et l’assistance composée essentiellement de spectateurs d’origine algérienne. Très vite, on s’est rendu compte que ce film représentait quelque chose de fort pour toute l’assistance. Les spectateurs « vivaient » le film. Des moments de silence qui traduisaient l’inquiétude, lorsque les parachutistes envahissaient la casbah. Des cris d’indignation face aux brutalités des militaires. La salle qui se levait et acclamait lorsque les combattants du FLN déjouaient les parachutistes.
Mais, l’un des moments les plus émouvants fut l’épisode de la traque d’Ali La Pointe : un silence total lorsque les militaires cherchaient encore sa cache, parfois des mises en garde quand un combattant allait se « jeter dans la gueule du loup » et une violente protestation pleine de révolte et de dépit lorsqu’Ali est découvert.
Jamais, je n’avais vécu dans une salle de cinéma des moments aussi intenses où l’assistance « vit » totalement le film et livre sans retenue ses émotions.
Un film équilibré, pas manichéen, mais qui a été utilisé plus tard par les militaires américains pour former les dictatures de l’Amérique du Sud à la lutte anti guérilla urbaine. Abject !
Jean-Pierre Leroux (habitant du 10e, adjoint au maire du 10e de 1995 à 2008 )
Ce film (Lion d’Or au Festival de Venise 1966) a en effet été programmé au Louxor du 15 au 28 mars 1973.
Jean-Pierre Leroux évoque l’utilisation du film à l’époque des dictatures d’Amérique du sud. Plus récemment, le 27 août 2003, le Pentagone (très précisément le « Directorate for Special operations and Low intensity Conflicts ») organisa une projection de La Bataille d’Alger afin d’en tirer des leçons pour la conduite de la guerre en Irak. Le courriel envoyé aux invités et largement repris dans les grands journaux (notamment le New York Times, le Washington Post, le New Yorker) annonçait la couleur : il s’agissait de comprendre pourquoi le plan mis au point par les Français avait été « une réussite technique mais un échec stratégique ». Voici le texte de l’invitation:
« How to win a battle against terrorism and lose the war of ideas. Children shoot soldiers at point-blank range. Women plant bombs in cafes. Soon the entire Arab population builds to a mad fervor. Sound familiar? The French have a plan. It succeeds tactically, but fails strategically. To understand why, come to a rare showing of this film. »
Ce que les experts du Pentagone n’imaginaient sans doute pas, c’est que cette information allait susciter un extraordinaire regain d’intérêt pour le film ! Longtemps introuvable, si ce n’est en VHS de mauvaise qualité, La Bataille d’Alger ressortit en copie neuve au Forum du Film de New York ainsi que dans plusieurs villes américaines dont Los Angeles, Chicago et Washington, et fut édité en DVD. L’accueil de la critique fut dithyrambique … (NDLR)
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