Entretien avec Dominique Borlot
Les décors de la grande salle du Louxor vont être restitués à l’identique. Comme nous l’explique Dominique Borlot dans l’interview que nous publions aujourd’hui, les fauteuils sont dessinés par l’architecte à partir de ceux de l’entre-deux-guerres : en voici un prototype.
Dominique Borlot, chef de projet au sein du bureau d’études Scène, est chargé de suivre le chantier de réhabilitation du Louxor. Nous le remercions d’avoir répondu à nos questions sur le rôle du scénographe dans l’installation d’un cinéma.
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Nous associons généralement le travail du scénographe à la muséographie, à la conception d’expositions, à la décoration scénique de théâtre ou à celle de films. Mais quel peut être son rôle dans l’aménagement d’un cinéma ?
En effet, lorsqu’on parle de scénographie, il faut distinguer deux domaines d’intervention : la scénographie d’exposition et de spectacle, qui définit des concepts muséographiques, conçoit des types de visites ou de parcours, met en scène les objets exposés, et comprend tout ce qui concerne la décoration (théâtre, cinéma, opéra). En ce moment, Scène travaille par exemple à la scénographie de l’exposition sur Les enfants du Paradis à la Cinémathèque. Là, il faut développer un concept de visite, avec la reconstitution des décors de Marcel Carné. Ce n’est pas un hasard si l’un des fondateurs de la société Scène est Guy-Claude François qui a été très longtemps le décorateur d’Ariane Mnouchkine pour le Théâtre du Soleil et a fait beaucoup de décors pour le théâtre, l’opéra, et le cinéma.
Mais nous avons développé parallèlement un autre secteur, celui de la « scénographie d’équipement », c’est-à-dire la conception technique de lieux de spectacle : l’autre fondateur de Scène, Jean-Hugues Manoury, a une longue expérience de décorateur, mais aussi de directeur technique.
Dans le bureau d’études Scène, est-ce que la part de la scénographie d’équipement est plus ou moins importante que la scénographie – muséographie ?
En fait les deux activités se complètent. En termes d’image, la partie muséographie est plus valorisante, les lieux (Alésia, la Grotte Chauvet, les grandes expositions) sont des vitrines irremplaçables. Mais l’activité scénographie d’équipement est très importante en nombre d’offres.
Les collaborateurs de Scène travaillent dans l’un ou l’autre de ces deux secteurs en fonction de leur formation et de leur expérience. Pour ma part, j’ai reçu une formation de directeur technique de spectacles, j’interviens donc dans le domaine de la scénographie d’équipement. Certains, formés aux Art déco par exemple, ont rejoint la partie muséographie.
En quoi consiste concrètement votre travail de scénographe d’équipement ?
Notre rôle va de la définition du cahier des charges technique jusqu’au choix des équipements. Nous définissons le travail avec l’architecte : volumétrie, jauges, visées, il s’agit de définir la vision qu’on va donner à une salle de spectacle.
Notre travail recouvre, selon les lieux, une grosse partie technique qui concerne tout ce qui est serrurerie, machinerie et menuiseries scéniques, et la définition de tous les équipements de cage de scène. Avec toute la partie réseau scénique, réseau courant fort, courant faible, sonorisation, éclairage scénique, vidéo.
Mais y a-t-il véritablement une « cage de scène » au Louxor ?
Non. Dans la grande salle, on a simplement conservé la petite scène devant l’écran. Dans une des salles au sous-sol, prévue pour une certaine polyvalence, il y aura également une petite scène.
Dans le cas d’un cinéma, on travaille évidemment avec l’architecte sur le respect des normes CST (Commission supérieure technique de l’image et du son). Par exemple en termes d’angle de visée, d’espacement entre les rangées de fauteuils, ces normes imposent, dans une certaine mesure, une typologie de salle.
Quel genre de normes devez-vous respecter pour les sièges ?
La norme CST impose 90 centimètres minimum de « pas de gradin » : c’est la distance qui sépare un extérieur de dossier de l’extérieur du dossier placé juste devant. Bien entendu on peut augmenter la distance pour gagner encore en confort. Au Louxor, le pas de gradin sera de 90 centimètres. Cela, c’est obligatoire. Ensuite, l’encombrement d’un fauteuil répond à d’autres normes. Le passage libre de circulation entre un dossier et l’assise du fauteuil placé derrière lui doit être au minimum de 35 centimètres (siège relevé). Pour un passage de cette dimension, la loi impose de ne pas dépasser 16 sièges de front. Mais il y a des aménagements : on peut augmenter le nombre de sièges à condition d’augmenter de 2 centimètres par siège supplémentaire la largeur du passage : par exemple avec 17 sièges, il faudra 37 cm, et avec 18, 39 cm. Jusqu’à 60 centimètres pour 50 sièges de front.
Vous parliez aussi de « visée ». Que voulez-vous dire ?
Les problèmes de visée sont très différents entre une salle de cinéma et une salle polyvalente qui va avoir une scène de jeu mais fera seulement un peu de cinéma : dans ce cas, on va privilégier la visée qui permettra aux spectateurs de voir ce qui se passe sur scène. Ces salles sont souvent en gradins. Tandis que le plancher des salles de cinéma est plat, même parfois légèrement incurvé en son centre. En effet, les gens regardent vers le haut. Ce n’est pas la même problématique. Au Louxor, c’est bien entendu le cinéma qui est privilégié même si on a une petite scène. C’est pourquoi dans la grande salle où l’écran est en hauteur, on a un parterre plat (avec une légère pente vers l’écran, comme dans la salle d’origine). Ensuite, à partir du balcon, on gradine pour que les gens placés les uns derrière les autres puissent voir l’écran. Même chose dans les petites salles du sous-sol. C’est un travail d’élaboration fait avec l’architecte.
Avez-vous une marge, par exemple en ce qui concerne l’espacement entre les fauteuils ?
Oui, sur l’entraxe, c’est-à-dire l’écartement, la place entre les accoudoirs où le spectateur s’assoit. Et sur la définition du siège : selon que l’on regarde plutôt vers le haut ou le bas, on a des inclinaisons de dossier, un choix de fauteuils qui seront un peu différents. Par exemple au théâtre, on a un dossier plutôt droit, qui a tendance à nous relever pour pouvoir plonger sur la scène ; au cinéma, on est plutôt en arrière.
C’est l’architecte Philippe Pumain qui dessine les fauteuils ?
Oui, il conçoit les sièges avec l’entreprise lauréate du lot fauteuils. Il peut choisir la forme du dossier, de l’assise, la largeur ; l’aspect du fauteuil en somme ; même si l’on part d’un fauteuil « standard », on peut le modifier et formuler des demandes précises à l’entreprise. En l’occurrence, l’architecte a essayé de reconduire un peu les fauteuils à l’identique des modèles anciens.
En dehors de cette question d’adaptation aux normes CST, que recouvre votre travail ?
Il y a beaucoup d’aspects techniques, comme la tenue de l’écran, le choix des écrans, les dimensions (qui sont en fonction de la taille de la salle), les supports d’écran, ou l’aménagement de la cabine de projection. Nous avons au départ défini un cahier des charges.
Et le matériel ? Est-il déjà choisi ?
Oui, c’est Cinemeccanica qui a remporté le lot. L’équipement sera argentique et numérique.
Cela entraîne des contraintes spécifiques ?
L’argentique oblige à avoir des plafonds plus hauts dans la cabine de projection de façon à pouvoir entrer les grandes bobines.
Y a-t-il toujours deux projecteurs ?
La grande salle sera équipée avec les deux, la petite avec les deux, la moyenne sera équipée uniquement en numérique.
On sait que nombre de nouvelles salles commerciales sont passées au tout numérique. Mais tous les films ne sont pas numérisés !
Non, en effet, tous les films qui sortent sont numérisés mais pas tous les films du répertoire. C’est pourquoi un établissement comme le Louxor, qui a une mission culturelle, a intérêt à conserver des postes argentiques. C’est un peu le même problème qu’avec le passage 16-35mm. On a pendant longtemps conservé les doubles projecteurs 16/35.
Vous parliez des écrans. Actuellement quel type d’écran utilise-t-on ?
Il s’agit d’écrans trans-sonores : l’écran est perforé, le son arrive par derrière. Dans l’axe, on a un complexe de hauts parleurs avec trois voies (ou trois canaux) : une basse, un médium, un aigu. Puis une voie à droite, une voie à gauche et les reprises en « surround » réparties dans la salle (sur les côtés et à l’arrière). Donc le son est derrière l’écran. On a le même système dans les deux autres salles avec des puissances différentes puisque les volumes sont différents.
Particularité du Louxor : le petit écran de 1921 va être restitué avec son tour d’écran décoré. Le grand écran sera placé par devant et pourra être remonté. Le son est donc entre les deux écrans ?
Oui. Les hauts parleurs sont placés derrière le grand écran. Mais ils sont sur caissons mobiles, sur roulettes et peuvent être déplacés.
Mais cet écran du temps du cinéma muet sera-t-il purement décoratif ou servira-t-il à des projections ?
L’exploitant peut tout à fait prévoir une projection de film sur cet écran. Il suffit de remonter le grand écran polichinelle pour faire apparaître l’écran 1921 et de déplacer la sonorisation sur les côtés.
Au temps du cinéma muet, il y avait une fosse d’orchestre…
Mais la fosse d’orchestre en décaissé est toujours là ! C’est en fait l’espace sous la casquette de scène, utilisable avec un orchestre. Elle conserve aussi sa rambarde.
Elle serait donc utilisable ?
Ici on a environ 30 m², on peut donc avoir un petit orchestre avec une douzaine de musiciens, comme à l’origine du cinéma. Dans la salle moyenne, on pourra envisager d’installer un piano droit.
Vous vous occupez aussi du choix des équipements pour les spectateurs malvoyants et malentendants ?
Un nouveau procédé vient de sortir, en haute fréquence, qui intègre à la fois les dispositifs pour malentendants et l’audio description pour les malvoyants. Le spectateur se verrait remettre à l’entrée un casque à signaux différents avec un petit appareil, comme un boitier, muni d’un écran. Il peut utiliser simplement l’amplificateur pour mieux entendre la bande son, ou afficher les dialogues sur son écran. Quant aux malvoyants, ils pourront avoir à la demande la piste d’audio description. Avec le numérique, on peut même choisir la langue. Quand les uns auront l’audio description dans le casque, les autres verront les dialogues sur leur petit écran.
Cela doit avoir un coût.
Bien entendu. Mais cela va avec le choix de s’ouvrir à tous les publics.
Vous vous occupez du choix des matériels mais pas de la maintenance ?
Non. Nous allons jusqu’à la formation des personnels par les entreprises. Ensuite le relai est pris par des contrats d’entretien. Ce sera à l’exploitant d’en décider.
Vous êtes associés aux autres intervenants ? Vous participez aux réunions de chantier ?
Pendant toute la phase du gros œuvre, notre présence ne s’imposait pas à toutes les réunions. Nous venions lorsque c’était utile. Nous allons maintenant être plus présents, évidemment ; et dès que les entreprises que nous avons sollicitées vont intervenir, nous allons suivre leur travail.
Propos recueillis par Jean-Marcel Humbert, Nicole Jacques-Lefèvre et Annie Musitelli
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