Philippe Pumain

En raison de sa densité, cet entretien avec l’architecte Philippe Pumain a été scindé en cinq articles : 1. Les équipes 2. Le chantier et le calendrier 3. La mise aux normes 4. La restitution de la grande salle 5. Le « façadisme ».

Philippe Pumain, vous avez fait une première présentation du projet de réhabilitation du Louxor le 28 novembre 2008 à la mairie du 10e arrondissement. Voici les questions que nous aimerions approfondir avec vous : les équipes qui vous entourent, l’organisation du chantier et le calendrier mais aussi les questions cruciales que sont l’insonorisation, la mise aux normes actuelles, la restitution de la grande salle et la question du façadisme.

I. Les équipes

Parlons un peu de votre équipe. Qui va faire quoi ? Quels sont les collaborateurs dont s’entoure l’architecte ?
Dans le domaine purement architectural, j’ai trois associés dont deux avec qui je travaille régulièrement en équipe : Xavier Fabre et Vincent Speller. Cette association récurrente fonctionne en particulier sur des projets importants, et celui-là pour nous, est important, en terme de taille de projet par rapport à la taille de notre agence et, bien sûr, de prestige. Cette fois, c’est moi le mandataire. Sur d’autres projets, ce sont eux qui peuvent l’être. Nous nous répartissons les rôles mais nous constituons une équipe d’architectes associés.

Il y a aussi un architecte du patrimoine, Christian Laporte : il était demandé, dans le cadre de la consultation, d’avoir un architecte ayant suivi la formation de Chaillot, ce qui est le cas de Christian Laporte. Il est chargé de tout ce qui concerne la restauration patrimoniale, notamment au niveau des façades. Nous réfléchissons ensemble sur les principes, et lui suivra dans le détail la restauration et la restitution des mosaïques et tout le travail sur les façades.

mosaïque avant restauration (photo Jean-Marcel Humbert)

Qui se chargera de la partie technique ?
Le bureau d’études en structure Brizot-Masse s’occupe de tout ce qui est renforcement des structures du bâtiment, en particulier des fondations. Il est chargé aussi de l’étude des nouvelles structures intérieures (en particulier de la « boîte dans la boite »), de la structure des balcons. Bref, de tout ce qui est structurel.
Nous faisons également appel à des ingénieurs spécialisés en « fluides », c’est-à-dire tout ce qui concerne la ventilation, le désenfumage, mais aussi les « courants forts » (électricité, éclairage) et les « courants faibles » (le téléphone, les alarmes, la transmission des données, l’informatique, etc.). C’est le bureau d’études Choulet avec qui j’ai déjà collaboré sur plusieurs projets, un des plus compétents dans le domaine des fluides. Entre autres, nous étudions une solution de chauffage et de climatisation utilisant la nappe phréatique par pompage. La nappe dans ce quartier est malheureusement assez profonde, ce qui génère des coûts de forage élevés. A long terme, c’est forcément rentable à condition que la nappe ait suffisamment de débit et soit assez constante. Les études techniques sont en cours à ce sujet.

Vous occupez-vous aussi de la scénographie ?
Je collabore régulièrement (sur la plupart les théâtres où je suis intervenu) avec le bureau d’études Scène, domicilié rue Doudeauville. Au Louxor, il y a moins de travail scénographique que dans un théâtre, mais ils étudient aussi tous les équipements de projection, et il y aura un double équipement argentique et numérique dans les trois salles, ce qui entraîne pas mal de mises au point techniques.

Et dans un projet de ce genre, l’acoustique doit être particulièrement importante ?
Bien sûr. Nous avons un acousticien qui travaille beaucoup sur les salles de spectacles qui présentent des contraintes acoustiques particulières. Il s’agit de Vivié et associés. Ils étudient l’isolement entre l’intérieur et l’extérieur dans les deux sens : par rapport aux voisins, qui doivent être protégés des divers sons émis dans les salles, et par rapport à l’environnement. Il ne faut pas entendre le métro dans la salle, ni le son d’une salle à l’autre. Ils s’occupent aussi de l’acoustique interne des salles, c’est-à-dire de la bonne qualité acoustique en terme d’audibilité : il faut en particulier bien gérer le temps de réverbération. Dans une salle comme celle-là, c’est assez compliqué parce que nous sommes hors standard, avec un très grand volume par rapport au nombre de spectateurs prévus. Nous sommes un peu dans le cas de figure du Rex. Le Rex a une plus grande jauge mais il a aussi un volume beaucoup plus grand. Les mesures ont montré que le Rex est complètement hors norme par rapport à ce qui est exigé aujourd’hui dans une salle de cinéma. Ils font pourtant des projections et apparemment le public ne s’en plaint pas. Un des points sur lesquels travaille l’acousticien, c’est justement de maîtriser, par les matériaux utilisés, ce temps de réverbération. Les modélisations faites montrent que nous serons conformes aux exigences de la Commission Supérieure Technique du cinéma (CST), à un dixième de seconde près. Pour l’oreille lambda, c’est inaudible, immesurable, sauf peut-être pour un chef d’orchestre.
Une des autres attributions de l’acousticien est de maîtriser les bruits d’équipement, notamment tous les bruits à l’intérieur du bâtiment : par exemple, le ronflement de la ventilation ne doit s’entendre ni à l’intérieur des salles ni chez les voisins mitoyens !

Comment est géré le budget d’un chantier ?
Nous avons un économiste, la société Delporte-Aumont-Laigneau : comme dans toutes les équipes de maîtrise d’œuvre, il estime les coûts, il contrôle les factures d’entreprises et assure le suivi financier du chantier. C’est quelqu’un de très important. Il y a des consignes très strictes pour éviter les dérives budgétaires.

Qui s’occupe des décors ?
Ce sont deux restauratrices, Claire Bergeaud et Franziska Hourrière, de la société Cartel collections, spécialiste de conservation-restauration, particulièrement en conservation préventive. Claire Bergeaud est ainsi conseil pour le Louvre d’Abou Dhabi sur la conservation future des œuvres. Pour le Louxor, elle a suivi l’entreprise qui assurait la reconnaissance des décors dans la phase préliminaire. Elle va travailler dans les mois qui viennent, avant le démarrage du chantier de travaux, sur ce qu’on appelle le chantier patrimonial.
[Nous reviendrons sur cette question en interrogeant les restauratrices qui nous donneront des détails sur la façon dont elles travaillent. NDLR.]

Donc c’est une grosse équipe ?
Oui, mais sur un projet comme celui-là, ce n’est pas exceptionnel. Quand on croise des problèmes techniques et des problèmes patrimoniaux, on a ce type d’équipe. Bien sûr, certains bureaux d’études intègrent parfois plusieurs spécialités : fluide et structure, par exemple. Mais que ce soit pour l’acoustique, la scénographie, la restauration, dans ces domaines ce sont forcément des équipes spécialisées qui ne peuvent pas être intégrés aux bureaux d’études généralistes.

Entretien réalisé le 17 février 2009 © LesAmis du Louxor