Cet entretien avec l’architecte Philippe Pumain a été scindé en cinq articles. Lire aussi : 1. Les équipes 2. Le chantier et le calendrier 3. La mise aux normes 5. Le « façadisme ».
4. La restitution de la grande salle
À quoi ressemblera la nouvelle salle du Louxor ?
Par rapport à la salle de 1921, la salle nouvelle présentera une travée en moins qui de toute façon, n’aurait pas pu être exploitée pour des raisons de visibilité. La pente des balcons de la nouvelle salle sera plus forte. Dans les années 20, l’exploitant avait installé un gradin, certainement en bois, dont on a retrouvé la trace et qui relevait le haut du premier balcon d’un mètre à peu près car l’inclinaison était mal calculée et il n’y avait pas « l’échappée de tête » nécessaire. Ce gradin en bois a dû être démonté entre les années 30 et les années 70.
L’écran historique du cinéma muet sera laissé en place. Un système de trappe pivotante permettra de faire descendre l’écran moderne pour les projections mais l’écran sera conservé sur le mur de fond de scène comme à l’origine.
Pouvez-vous nous parler des décors ? Qu’a-t-on retrouvé?
Le décor des années 20 est présent sous plusieurs formes :
Le soubassement en faux marbre noir (sur la totalité de la périphérie du parterre) a souffert par endroit en raisons des infiltrations mais il est en bon état relatif. On trouve le registre intermédiaire avec colonnettes palmiformes et une frise de « grecques » au-dessus, assez anachronique d’ailleurs. Cela fait partie de la fantaisie égyptisante. Il est en état moyen, à la suite des infiltrations côté façade. Toutes les parties centrales des panneaux sont unies.
Les pilastres qui étaient en surépaisseur et certainement traités faux marbre ont disparu. Ils ont été remplacés par des éléments en staff sur lesquels ont été fixés par la suite des miroirs en hauteur. La partie supérieure des pilastres a aussi disparu.
On a retrouvé un état des lieux de 1930 qui décrit les travaux faits lorsque Pathé a repris la salle. Cet état cite des « têtes en relief » en haut des pilastres. Sans doute s’agissait-il de têtes de pharaons. Nous y avions pensé et cela nous a conforté dans notre idée. C’est la première fois que nous trouvons cela dans un texte. Ces têtes ont totalement disparu. La frise avec les personnages égyptiens est conservée. Située tout en haut, elle est assez dégradée en raison des infiltrations venant des terrasses. Ce décor n’est d’ailleurs pas d’une qualité esthétique extraordinaire.
Il s’agit de profils égyptiens interprétés par un artisan peintre du début du 20e siècle. Il en va de même pour les hiéroglyphes en sous-face des poutres du plafond. Le grand spécialiste de l’égyptomanie, Jean-Marcel Humbert, nous a dit qu’ils étaient fantaisistes et ne voulaient rien dire. De loin, ils font leur effet, le public pouvait voir que c’étaient des hiéroglyphes. Eux aussi ont été endommagés par des infiltrations.
Donc, pour répondre à votre question : on retrouve le décor dans nombre d’endroits, mais il n’est pas en très bon état. Il faut relativiser ce qui a parfois été écrit sur le sujet. Si on voulait restaurer cet ensemble, il y aurait un travail de compléments très important : ce serait là aussi pour une part de la restitution plutôt que de la restauration. Par ailleurs il n’a pas un intérêt artistique majeur (et il semble que tout le monde soit d’accord là dessus). Ce n’est pas un travail d’artiste, c’est un travail d’artisan utilisant des systèmes de pochoirs.
Est-il exact qu’il y ait plusieurs couches superposées ?
Bien sûr. C’est un autre point que je développe quand j’en ai l’occasion. C’est un décor qui a été vu en tout et pour tout pendant huit ans. Toute la partie néo-égyptienne (colonnettes, personnages) a été recouverte dès les années 1930. Il n’est plus resté que le faux marbre du parterre (qui a été lui-même recouvert certainement dans les années 50). Ce décor, plus personne n’en a le souvenir. Et si Pathé était resté propriétaire du cinéma, il aurait dû faire des travaux de restructuration et de modernisation indispensables et on ignorerait sans doute aujourd’hui l’existence de ce décor.
Mais alors, le fait qu’il a été recouvert l’a en partie préservé !
Certes, mais en même temps on entend dire que nous allons le cacher à jamais. Alors qu’il est caché depuis 80 ans ! C’est un décor éphémère, ce qui était dans la logique de ces décors-là. On suivait la mode, les décors changeaient. À moment donné, l’exploitant a dû trouver ce style égyptisant « ringard » et il a fait un décor dit « néo-grec ». Sur la deuxième couche, des grecques ont été ajoutées sur les côtés. Nous allons dégager ce qu’il faut pour comprendre le décor des années 20, le documenter et pouvoir le reproduire.
Je tiens à ajouter que dans notre projet, ni le décor des années 30, ni les décors superposés ne seront détruits. En revanche, si on avait voulu restaurer la salle 1920, on aurait détruit le décor des années 30. Or, si on fait référence à la Charte de Venise, je ne suis pas sûr qu’il soit non plus « admis » de détruire le décor des années 30. Qui va juger que le décor des années 20 a plus d’intérêt et de valeur que celui des années 30 ?
Donc, tous ces décors vont rester derrière le mur de doublage ?
Oui. Nous allons laisser tous les décors en place. En outre, nous allons faire en sorte que les renforts et leurs fixations soient positionnés à l’endroit des pilastres : par conséquent, ils ne seront pas « traumatisants » pour les décors puisqu’à cet endroit il n’y en a pas !
Jean-Marcel Humbert avait exposé un des fauteuils d’origine. Vous avez l’idée de refaire les sièges en vous inspirant des premiers sièges « égyptisants » ?
Nous connaissons les sièges d’origine, nous les avons vus, relevés, photographiés. L’image qui circule date des années 30 ; c’est une image publicitaire. On lit : Éts Gallay. Ils sont, sous le nom de Quinette-Gallay, encore aujourd’hui parmi les plus grands fabricants du monde de sièges de spectacle. Ils travaillent pour le cinéma, mais aussi beaucoup pour le théâtre. Ils ont équipé une grande partie des salles de cinéma de Paris. J’ai fait plusieurs projets avec eux (pour le théâtre de la Cité Universitaire par exemple). Nous devons faire des recherches dans leurs archives pour voir ce que nous pouvons encore trouver sur le Louxor.
Nous avons fait une proposition pour les nouveaux fauteuils : les dossiers sont plus hauts ; les sièges plus rembourrés. C’est une « interprétation » des fauteuils d’origine. Nous ne souhaitons pas que ce soit des fauteuils lambda de cinéma et nous en discutons en ce moment avec la Mission cinéma. La question porte sur l’image que nous voulons créer. Ces nouveaux fauteuils doivent contribuer à donner une image de salle de cinéma et ne pas renvoyer trop à une image « muséale ». La Mission Cinéma souhaite que ce ne soit pas seulement une « reconstitution » ; les gens doivent aussi avoir envie d’aller s’y asseoir ! Nous devrons trouver un équilibre.
Les salles du sous–sol seront-elles décorées ?
Oui, mais pas de la même manière. Je suis en train de travailler à créer un rapport, une résonance entre les trois salles. La salle moyenne aura une colonnade et un « plafond ciel », thème décoratif que l’on retrouve dans un certain nombre de tombeaux égyptiens. La plus petite salle sera dans le même esprit avec un plafond voûté, qui renvoie aussi à un type d’espace « égyptien ».
Donc nous aurons trois ambiances différentes, mais dans une certaine cohérence. Ce ne sont que des esquisses et nous y travaillons encore. Ce ne seront pas des salles banalisées mais, au sous-sol, un décor reproduit à l’identique de celui de la grande salle n’aurait aucun sens.
Entretien réalisé le 17 février 2009 © LesAmis du Louxor