29 novembre 1983 : le Louxor ferme ses portes
« Il n’a plus aucune chance
C’était sa dernière séance
Et le rideau sur l’écran est tombé »
Souvenez-vous : en 1977, Eddy Mitchell chantait déjà le triste « destin d’un cinéma de quartier ». Dans ces années-là, les salles de quartier fermaient les unes après les autres, dans l’indifférence quasi générale.
Ainsi, pour s’en tenir à l’environnement proche du Louxor, le 5 avril 1978, le rideau tomba sur le Myrha Palace, 36 rue Myrha. Le 30 septembre 1981, ce fut le tour de l’Ornano 43, 43 boulevard Ornano, qui laissa place à une grande surface alimentaire. D’autres salles ne perdaient rien pour attendre : ainsi le Delta et la Gaîté Rochechouart (devenus des temples de la fripe) ou encore le Barbès Palace, boulevard Barbès, dont on peut voir les beaux restes à l’enseigne des chaussures Kata.
Il n’y eut pas de miracle pour le Louxor qui subit le sort commun. La curiosité nous a pris d’aller fouiller dans les archives disponibles et de dépouiller les collections de l’Officiel des spectacles pour tenter de reconstituer ce que furent les dernières semaines du Louxor. Si certains de nos lecteurs ont conservé la mémoire vivante de cette période, qu’ils n’hésitent pas à nous adresser leur témoignage.
« La salle est vide à pleurer »
Dans leur numéro du 30 novembre 1983, l’Officiel des spectacles et Pariscope annoncent la fermeture définitive du Louxor.
Cette date fatidique est confirmée par le directeur du cinéma, Daniel le Pluard, qui déclare le jour même « cesser l’activité du cinéma Louxor Pathé » et arrêter « des séries de billets aux numéros suivants :
– Série 056TN à 12,00F – Canarie Paragon, n° 450 001 à 480 000
Arrêt n° 451000, reste 29 000 billets ;
– Série 057NN 12,00 F Bleu Paragon de 200 001 à 230 000 (série terminée)
– Série EXO 007, n° 59320, reste 680 billets. »
La lecture de cette énumération un peu hermétique nous apprend non seulement que le prix de certaines places se montait à 12 francs (1 euro 85) – l’Officiel, lui, mentionne un tarif unique de 11 francs –, mais encore qu’une fois le rideau baissé et la cabine de projection fermée, il restait à accomplir quelques formalités administratives puisque l’exploitation cinématographique est, dans notre pays, une activité encadrée par la profession et les pouvoirs publics.
C’est ainsi que le 16 février 1984, dans un laconique « procès-verbal administratif de destruction de billets de cinéma », un inspecteur des impôts et un agent des Impôts de l’Inspection centrale des contributions indirectes de Paris 10e Est, certifient « avoir procédé, dans les locaux de la société Pathé Cinéma, 6 rue Francoeur à Paris 18e, à la destruction de la billetterie du cinéma Le Louxor, sis à Paris 10e , 170 boulevard de Magenta ». Le document précise que 29 682 billets ont ainsi détruits.
Dernière précision administrative : « Procédé de destruction : le feu ». Par rapport aux billetteries électroniques, c’était encore de la préhistoire.
Mettons-nous maintenant à la place d’un spectateur de ces années-là pour voir ce que lui offrait son cinéma de quartier.
Pendant les dernières années de son exploitation, le Louxor projetait surtout des films exotiques, notamment indiens et égyptiens, en version originale, parfois assez anciens.
La programmation de novembre 1983 illustre parfaitement le créneau dans lequel se situait ce cinéma. L’affiche annonçait le 2 novembre Mangala Ub Badawiya (ou Bidawiya ) en v.o, film indien de 1950 sorti en salles en 1973, plus connu sous le titre de Mangala fille des Indes ou Mangala la bédouine, (à ne pas confondre avec Rabaa la bédouine, film égyptien programmé au Louxor le 16 février 1983) et la semaine suivante Poop Khile Hain Gulsam-Gulsam en v.o, film indien sorti en 1978.
Mais à côté de ces films exotiques, on y voyait aussi régulièrement des films à contenu politique comme Chronique des années de braise, Décembre ou Le vent des Aurès du cinéaste algérien Mohammed Lakhdar-Hamina ou encore L’opium et le bâton d’Ahmed Rachedi.
L’avant-dernier film projeté au Louxor le 16 novembre s’inscrit dans cette programmation : Prends 10 000 balles et casse toi, un film de Mahmoud Zemmouri, abordait sur le mode humoristique l’actualité politique : sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, les Algériens résidant en France s’étaient vus proposer la somme de 10 000 francs pour retourner dans leur pays. Le film, qui racontait les difficultés de réintégration d’une famille algérienne dans son village d’origine, reçut le Prix de la critique au festival international du film d’humour de Chamrousse 1982.
Quand au tout dernier film programmé au Louxor, la semaine du 23 novembre 1983, l’Officiel annonçait Kuard v.o ; Pariscope préférait Quaid. Il s’agissait en réalité de Qaid, film indien de 1975, de Atma Ram, avec le célèbre acteur Vinod Khanna.
Un coup d’œil à la programmation des autres salles du 10e arrondissement nous apprend que l’art et essai n’y tenait pas vraiment le haut de l’affiche.
Notons d’abord que L’Officiel des Spectacles recense à cette date dans cet arrondissement, 11 cinémas dont 8 salles « pour adultes ».
Le Brady proposait aux amateurs des films d’épouvante comme Creepshow et La mariée sanglante ; le Concordia, 8 rue du faubourg Saint Martin, s’adressait plutôt aux passionnés d’arts martiaux avec Shaolin, Les 7 disciples de Taishi, et Chen le magnifique. Au Paris Ciné, 17 bd de Strasbourg, le spectateur avait le choix entre Le sherif et les extraterrestres, Les quatre justiciers ou Jackie Chan l’impitoyable.
Dans le voisinage immédiat du Louxor, côté 9e, le Delta était également dédié au cinéma exotique et programmait fin novembre 1983 plusieurs films indiens en v.o dont Shakti, Gopichand Jasoos ( 1982) ou Rocky de Sunil Dutt (1981). Ne pas confondre avec le Rocky américain.
À la Gaîté Rochechouart, on projetait plusieurs films par semaine en alternance. Ainsi pendant la semaine du 23 au 29 novembre, les boulimiques de série B et de karaté pouvaient voir un film différent chaque jour : On continue à l’appeler Trinita, Le caïd de Chinatown, La karatigresse aux mains d’acier. Puis à partir du 30 novembre, Black Kung Fu contre Hong Kong Connection, Les 36 signes de la mort, Escroc, macho et gigolo, Magnum Force . Le Barbès Palace offrait une programmation très éclectique : des films américains ( Dans la chaleur de la nuit (1967) de Norman Jewison avec Sidney Poitier ou Le merdier (Go tell the Spartans, 1978) de Ted Post avec Burt Lancaster), un western italien ( Adios Sabata, de Gianfranco Parolini avec Yul Brynner) mais aussi L’émir préfère les blondes, nanar sorti en 1983, ou encore Les douze tigres de Shaolin et La main rouge de Shaolin.
Ce cinéma de genre, usé jusqu’à la corde, a fini par lasser son public et le mode d’exploitation artisanal qu’il impliquait n’a pas résisté lorsque, dans les années 80 du siècle dernier, les grands distributeurs ont repris sérieusement les choses en main.
« Il finira en garage
En building supermarché » ?
Le Louxor a finalement eu de la chance. À deux reprises. D’abord, en 1981, grâce à l’inscription de ses façades et toiture à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, il échappa à la démolition ou la défiguration de sa façade néo-égyptienne. Ensuite, au début des années 2000, grâce à l’action des habitants du quartier qui se sont mobilisés pour le sauver. On connaît la suite …
Trente ans après sa fermeture, le Louxor va retrouver sa vocation de cinéma. Heureusement, Eddy Mitchell s’est trompé et le film n’est pas terminé. Vivement 2013, que le rideau se lève pour « la première séance » …
Annie Musitelli © Les Amis du Louxor
Sources : Fondation Jérôme Seydoux-Pathé ; Fonds Eldorado (Institut du Centre d’archives de la Cité de l’architecture et du Patrimoine) ; Officiel des Spectacles ; Pariscope.