Souvenirs du Louxor


C’était le temps ou le bonhomme en bois faisait la publicité (on disait alors la réclame) du grand magasin de meubles des Galeries Barbès.

Catalogue des Galeries Barbès

Catalogue des Galeries Barbès

J’étais enfant, et j’habitais alors au n° 14 de la rue des Poissonniers, juste en face de la sortie du Barbès Palace, dont l’entrée (aujourd’hui magasin Kata) se trouvait Boulevard Barbès. Les cinémas alors ne manquaient pas et étaient très fréquentés dans ce quartier ouvrier. Outre le Barbès Palace, j’étais spectatrice au Myrha Palace, au Delta (où j’ai vu La Ciocciara de De Sica), à La Gaîté Rochechouart (ou j’ai vu Les canons de Navarone), et, bien sûr, au Louxor, dont j’admirais déjà les mosaïques de la façade, mais dont la salle n’avait alors conservé aucune de ses splendeurs d’antan. J’allais de préférence au balcon, mais il fallait arriver tôt, car je n’étais pas grande, et dès le deuxième rang, je ne voyais plus grand chose… C’était alors un cinéma de quartier comme les autres, où j’ai vu en particulier (deux fois de suite dans la même après-midi, tant cela m’avait plu), Les Trois Mousquetaires de Hunebelle. Il faut dire que je connaissais le livre presque par cœur.

Mais un de mes souvenirs les plus marquants est celui d’un court-métrage d’Alain Resnais sur la Bibliothèque Nationale : « Toute la mémoire du monde » . La projection d’un film était alors en effet toujours précédée des actualités, et d’un court-métrage. Celui-ci est sorti en 1956, j’avais alors 10 ans, mais a-t-il été programmé au Louxor aussitôt ? … j’avoue que mes souvenirs ne sont pas aussi précis, mais je pense que j’étais plus âgée lorsque je l’ai vu. Ce dont au contraire je me souviens fort bien, c’est que cette projection avait été pour moi source à la fois de fascination et d’un léger écœurement. Il faut dire que j’avais un peu trop mangé d’un délicieux clafouti aux cerises cuisiné par ma mère, et que les vertigineux travellings de Resnais dans les sous-sols de la Bibliothèque Nationale avaient ajouté à mon malaise interne … Cette projection a-t-elle été pour quelque chose dans ma vocation de recherche en littérature ? Je ne savais pas alors que je passerais plus tard tant d’heures heureuses au milieu des livres dans ce lieu magnifique, mais le spectacle de tant d’ouvrages, de documents, et cette fabuleuse relation au passé m’avaient éblouie.

Nicole Jacques-Lefèvre
Professeur émérite de Littérature du XVIIIe siècle
Université Paris X-Nanterre