Le temps des boîtes de nuit – 2 : Megatown ouvre le 20 juin 1987
Dans un article précédent, Daniel Le Glaner, ancien gérant des deux boîtes de nuit qui ont occupé le Louxor entre 1986 et 1988, évoquait la boite de nuit antillaise La Dérobade. En dépit de son succès, cette discothèque, ouverte en novembre 1986, ferma ses portes pour être remplacée au mois de juin 1987 par la boîte gay Megatown.
Comment est-on passé de La Dérobade à Megatown, « la plus grande boite gay de France »?
Je vous ai parlé de l’hostilité de certains riverains à l’égard de La Dérobade et de leurs pressions sur la mairie et la préfecture. Une pétition a même circulé pour en demander la fermeture. Le résultat a été que je n’ai pas obtenu le renouvellement annuel d’ouverture tardive (après 2 heures du matin) pour exploiter la discothèque. Je suis resté deux mois à devoir fermer à 2 heures du matin comme l’ensemble des bars de Paris. Comprenez-bien que, dans ces conditions, c’était la mort de l’exploitation, voulue par la mairie et la Préfecture de Police.
À ce moment là, à ma grande surprise, je suis contacté par un policier de la « mondaine », avec lequel j’avais des relations de confiance, qui me propose en toute discrétion de pouvoir retrouver mon autorisation d’ouverture de nuit. Il me met en quelque sorte un marché en main : nous avons, me dit-il, un établissement homosexuel au centre de Paris, tenu par David Girard, qui nous pose de gros problèmes, les riverains n’en veulent plus, nous voulons qu’ils partent. Mais nous serions favorables au déplacement de cette boîte gay vers le Louxor, en lieu et place de La Dérobade. En somme, je fermais La Dérobade et accueillais la boite gay dans mes murs. Il me demandait donc d’entrer en contact avec David Girard et de trouver un accord avec lui. C’était notre intérêt à tous les deux. Sinon, le message était clair, nous fermions tous les deux !
David Girard et moi-même sommes parvenus à un accord. Je suis resté gestionnaire, responsable du lieu, et lui était responsable de l’animation, avec son équipe. Nous avons discuté de l’organisation, des décors, du nouveau nom. Il proposait Maxiville, ou en anglais Megatown. On a opté pour Megatown.
Y a-t-il eu des transformations intérieures par rapport à la Dérobade ?
Assez peu de transformations. Comme je vous l’ai dit, nous avions fait des travaux pour pouvoir ouvrir la Dérobade ; en particulier l’insonorisation de la salle par la pose de revêtement isolant phonique, la pose de moquette et de miroirs sur les murs ; dans le porche, nous avions aussi mis en place un plafond avec des luminaires encastrés. Les bars aménagés à l’emplacement des balcons y sont restés. Donc des détails ont pu être modifiés (par exemple, la suppression des palmiers qui caractérisaient la Dérobade) mais le décor à dominante rouge et écossais a été conservé.
Le plus gros changement a été l’aménagement des deux sous-sols à la demande de David Girard. En dehors du vestiaire qui existait déjà, il a voulu que les sous-sols soient aménagés en plusieurs espaces, salle de jeux, etc.
Il y avait même un salon de coiffure. Des décors très colorés ont été peints sur les murs du sous-sol. Le 2e sous-sol hébergeait la partie technique.
J’ai dû prendre aussi deux minibus pour faire la navette entre le centre de Paris (en l’occurrence le Châtelet) et Barbès afin de récupérer les clients et de les raccompagner : ce qui signifiait que j’employais deux chauffeurs accompagnés d’un « garçon de sécurité ». Ces frais n’étaient pas négligeables.
La réussite de Megatown est indissociable de la personnalité de David Girard ?
Bien sûr. C’était un animateur hors pair, l’un des organisateurs de la Gay Pride, doté d’un grand charisme. La fête de l’inauguration de Megatown, qui a eu lieu justement à l’issue de la Gay Pride de 1987, a attiré 3800 personnes ! C’était fou, le carrefour était noir de monde, on ne pouvait plus circuler. Même moi, je n’arrivais pas à entrer dans le bâtiment, d’autant que les nouveaux portiers (après la fermeture de La Dérobade, le personnel avait changé) étaient débordés et ne me connaissaient pas encore ! Quel souvenir…
David Girard était très imaginatif. Je me souviens d’une autre soirée exceptionnelle. Il avait eu une idée : organiser une fête en liaison avec le Salon de l’Agriculture ! Il avait réussi à convaincre de jeunes producteurs d’ouvrir des stands de produits locaux (charcuterie, fromages, etc.) dans le Louxor. Les stands étaient installés du côté droit de la discothèque, devant un décor à carreaux rouge et blanc, c’était très joli.
Certains se souviennent d’avoir vu de la paille sur la chaussée à l’entrée du Louxor !
Vous avez raison. David Girard avait eu l’idée de recouvrir tout le sol de la discothèque de paille ! C’était pittoresque mais complètement fou, il avait même fait venir des animaux vivants (poulets, canards, etc.). La chaîne de télé M6 était venue filmer. Mais j’étais aussi dans une angoisse épouvantable car à l’époque, on fumait en discothèque ! Vous imaginez le risque. Les contraintes de sécurité étaient déjà fortes et nous devions en tout temps prévoir issues de secours, trappes de désenfumage, etc. Mais ce soir là, j’avais en plus récupéré un nombre impressionnant d’extincteurs pour en placer absolument dans tous les coins, des balcons aux sous-sols ! Car en cas de drame, le responsable n’aurait pas été l’animateur, mais le gérant, en l’occurrence, moi…
Après ces débuts mémorables, la fréquentation s’est-elle maintenue ?
Oui. C’était un succès. Comme pour La Dérobade, nous étions ouverts tous les soirs, et le dimanche après-midi, il y avait des thés dansants, les « Gay tea dances ».
Pourtant Megatown a fermé assez rapidement, comme La Dérobade.
Oui, mais pour de toutes autres raisons. Nous n’avons pas eu les mêmes réactions négatives qu’avec la clientèle antillaise. C’est le retrait de David Girard (1) qui a scellé le destin de Megatown. C’était, je l’ai dit, un très grand animateur, il était véritablement l’âme de cette boîte de nuit, sa « locomotive ». Les gens venaient pour lui et après son départ, la fréquentation est tombée très brutalement, dans des proportions telles qu’il était malheureusement impossible de continuer. Avec un loyer très élevé, la seule solution raisonnable était la clôture d’activité.
Fort de votre longue expérience dans le milieu des boites de nuit, quel souvenir gardez-vous de cette période et des gens que vous avez côtoyés ?
Après la fermeture de Megatown, je me suis reporté sur un autre lieu, très différent, mais qui m’était aussi très cher : Le Square dans le 9e arrondissement.
Je peux dire que les gens qui fréquentaient tant la Dérobade que Megatown étaient attachants, des gens corrects qui n’avaient pas de comportements violents, ne créaient pas de problèmes. J’en conserve de bons souvenirs …
(Daniel Le Glaner a, depuis, quitté la région parisienne et changé d’activité professionnelle. Nous le remercions de nous avoir apporté ce témoignage inédit. )
Propos recueillis par Annie Musitelli | ©lesamisdulouxor.fr
Note
1. Gay International (novembre 1987). David Girard quitte Megatown le 16 octobre 1987 pour se consacrer à ses propres projets, dont la sortie de son disque.
Il décède pendant l’été 1990.