Un des plus anciens défenseurs du Louxor
Nous avons la tristesse d’apprendre le décès de Jean Leclant, Secrétaire perpétuel de l’ Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui parmi les premiers a joué un rôle important dans le sauvetage du Louxor.
Après Christiane Desroches-Noblecourt décédée le 23 juin dernier, c’est un autre de nos grands égyptologues qui vient de nous quitter. Né en 1920, le professeur Leclant s’était spécialisé en histoire et civilisation pharaonique, en civilisation méroïtique, et s’était passionné – entre autres – pour la diffusion des cultes isiaques à travers l’Europe. Professeur d’égyptologie à l’université de Strasbourg (1953-1963), à Paris IV Sorbonne (1963-1979) puis au Collège de France (1979-1990), il n’en continuait pas moins ses mission archéologiques à Saqqarah, Soleb et Seidenga.
L’hommage que je tiens à lui rendre ici au nom de tous les Amis du Louxor est en même temps celui de l’un de ses élèves, qui peut témoigner de sa passion à transmettre le savoir. Son implication débordait très largement de son temps d’enseignement à la faculté, qui se prolongeait souvent dans sa maison des Buttes Chaumont d’où l’on dominait tout Paris. J’ai eu la chance d’être de ses étudiants de 1970 à 1987, de la maîtrise au doctorat ès-lettres. Quel autre professeur, en France, se serait alors intéressé à l’égyptomanie, que tous ses confrères faisaient semblant d’apprécier d’un sourire condescendant ? Quand je lui proposai en 1970 d’étudier l’égyptomanie à Paris, il n’a pas eu l’ombre d’une hésitation, et me poussa dans cette voie. Ce fut l’occasion de notre première rencontre, à tous deux, avec le cinéma Louxor.
Se prenant au jeu, il a suivi avec intérêt les progrès de la recherche dans le domaine de l’égyptomanie qui a rapidement gagné ses galons de science à part entière, avec une reconnaissance internationale. Il a notamment préfacé plusieurs de mes ouvrages, en 1989 L’Égyptomanie dans l’art occidental, en 1996 les actes du colloque du musée du Louvre L’Égyptomanie à l’épreuve de l’archéologie (il avait accepté d’ouvrir ce colloque, et avait invité à la fin des travaux tous les intervenants à une inoubliable réception en son appartement du quai de Conti), et, en 1998 L’Égyptomanie à Paris.
Le Louxor, quant à lui, n’est jamais resté absent de ses pensées, et l’un de mes regrets est qu’il ne le verra pas rénové. Dès le 14 octobre 1980, il œuvrait pour le sauvetage de cette salle en écrivant au ministre de la culture Jean-Philippe Lecat : « Puis-je me permettre d’attirer l’attention de vos services sur l’intérêt tout particulier qui s’attache à la salle de cinéma « Le Louxor » située 170 Bd Magenta, dans le Xe arrondissement de Paris. Édifiée en 1921 par l’architecte Zipcy, elle fut décorée dans le style pseudo-égyptien par Tiberi ; ce dernier y réalisa notamment des mosaïques remarquables. Le cinéma Louxor représente un exemple unique en France d’une salle de spectacle égyptisante. L’extérieur, tout au moins, devrait être totalement sauvegardé. C’est là un élément de notre « patrimoine » qui mériterait d’être classé et sauvé. »
Par la suite, il resta très attentif au devenir du Louxor, et confirma toujours son engagement militant dans sa protection et son sauvetage. C’est ainsi qu’en 2002, il avait appuyé l’action du comité « Sauvons le Louxor » en lui adressant cette lettre : « S’il est un monument emblématique des liens traditionnels qui unissent l’Égypte à la France, c’est bien le cinéma « Louxor » du carrefour Barbès – bâtiment d’ailleurs inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. L’abandon dans lequel il est laissé depuis plus de vingt ans ne peut que choquer les « égyptomanes » et tous ceux qui sont attachés aux lieux qui font la gloire et le charme de Paris. Il conviendrait que les autorités compétentes sauvent rapidement ce trésor exceptionnel qui devrait rappeler à tous, Parisiens et visiteurs de notre capitale, l’héritage culturel de la prestigieuse Vallée du Nil. »
Outre sa personnalité si attachante, c’est son engagement permanent dans la défense de toutes les formes de culture que nous conserverons dans notre mémoire et dans notre cœur. La fin de son discours de bilan lors de la séance de rentrée de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le 26 novembre 2010, en est le meilleur résumé : « Je souhaite former des vœux ardents pour que notre esprit académique, mêlant harmonieusement savoir, curiosité inlassable et foi dans l’avenir, puisse continuer encore longtemps à rajeunir, malgré son grand âge, les esprits et les cœur de tous ceux qui portent leur regard vers le passé dans l’espoir d’en retirer cette part d’éternité que confère l’érudition et ses messages d’universalité. »
Jean-Marcel Humbert
Président des Amis du Louxor