C’est à l’homme d’affaires Henry Silberberg que l’on doit le Louxor.
La consultation du dossier aux Archives de Paris nous apporte des précisions complémentaires sur les démarches qui précédèrent la construction dont l’autorisation ne fut pas accordée d’emblée, même si les délais peuvent nous paraître bien courts en regard des impératifs administratifs d’aujourd’hui…
À l’intérêt documentaire s’ajoute le plaisir de retrouver, dans ces dossiers venus d’une époque où l’on écrivait encore à la main, l’écriture fine et la signature de M. Silberberg, dont le décès et la faillite entraîneraient, dès avril 1922, la vente du Louxor.
La construction d’un cinéma exigeait non seulement l’obtention d’un permis de construire mais aussi l’autorisation de la préfecture de police. Le promoteur et l’architecte devaient se conformer à l’ordonnance du 10 août 1908 qui complétait ou révisait les normes techniques, d’hygiène et de sécurité déjà en vigueur pour les salles de spectacles depuis 1898.
Le 6 janvier 1920, Silberberg adresse une lettre au préfet de la Seine (alors Auguste Autrand), pour lui demander « l’autorisation régulière de bâtir pour la construction [qu’il se] propose d’édifier 170 Boulevard Magenta ». On peut donc supposer que l’immeuble haussmannien construit à la même adresse a déjà été détruit. Sont joints à sa lettre : « 10 feuilles et plans, coupes et élévation ; 1 plan des canalisations »1. Ces plans ont été signés le 5 janvier 1920.
C’est l’architecte, Henri Zipcy, qu’il désigne pour prendre le relais dans les démarches. La lettre n’indique pas la destination de cette « construction », et c’est en marge, au crayon rouge, qu’est indiquée la mention « Cinéma ». Trois architectes voyers du Xe arrondissement, l’architecte, l’architecte adjoint et l’architecte en chef interviendront, pour signer ou commenter les différents rapports, et pour refuser puis accorder enfin l’autorisation. Trois mois se seront alors écoulés depuis la première démarche de Silberberg.
Le 13 janvier, M. Brisson, architecte voyer adjoint du Xe arrondissement, rédige un premier rapport, qui s’achève par un avis défavorable ainsi motivé :
« Considérant
1° que la section d’aération des sous-sols serait inférieure au 1/10e de la surface du sol (art. 30 du 22 juin 1904)
2° que le mode d’aération des W.C. n’est pas indiqué [Id.]
3° que la salle à rez-de-chaussée serait ventilée par des baies dont la section totale est inférieure au 1/6e de la surface de ladite pièce [Id.]
4° qu’au 2e étage une pièce dénommée dépôt aurait une surface inférieure à 9m.00 [Id.]
5° qu’à l’entresol du 1er étage, la pièce destinée à l’opérateur aurait une surface inférieure à 9 m.00 et ne serait ni ventilée ni aérée [Id.]
6° qu’au devant de l’immeuble, en pan coupé, il serait prévu à 7m.00 de hauteur, une dalle en maçonnerie destinée à former auvent d’une saillie de 3,40 mètres (art. 21 du 13 août 1902)
7° que le plan des éléments de construction conservés n’est pas fourni (art 19 du 22 juin 1904)
Je propose de refuser ».
Le 15 janvier, l’architecte voyer en chef entérine ce refus, confirmé le 19 janvier par le bureau des alignements de la préfecture de la Seine, Ville de Paris.
Le dossier revu fait l’objet d’un nouvel examen par les services.
Le 4 février, un second avis de l’architecte voyer précise :
« Les nouveaux plans ne présentent plus rien de contraire aux règlements, si ce n’est en ce qui concerne la forme particulière de la cabine de l’opérateur pour laquelle une tolérance est demandée.
Il y a donc lieu de soumettre cette demande de tolérance à l’examen de la Commission supérieure de voirie et, à notre avis, elle pourrait être accordée.
En ce qui concerne les servitudes de cours entre les immeubles 168 et 170 bd Magenta, le pétitionnaire remet le texte du contrat intervenu entre les deux propriétaires ainsi que cinq plans sur timbre pour régularisation par le notaire de la Ville de Paris ».
Le 13 mars 1920, un avis, cette fois favorable, est donné, mais avec une restriction :
« Les plans produits ne présentant plus rien de contraire aux règlements sauf régularisation des cours communes, le soussigné propose de surseoir à la délivrance de la permission jusqu’à passation dudit contrat »
Enfin, le 18 mars, l’architecte voyer en chef s’étant exprimé le 16, Brisson propose d’accorder la permission. Celle-ci sera donnée définitivement le 3 avril 1920.
L’architecte ne perdra sans doute pas de temps pour commencer le chantier, et le rythme des travaux sera soutenu : l’article du journal Le Peuple du 9 février 1921, hostile à la construction d’un cinéma qui a entraîné la destruction d’un immeuble d’habitation et l’expulsion de ses occupants, évoque ironiquement une « réconfortante activité » derrière des palissades, et le Louxor sera inauguré le 6 octobre 1921, un an et demi seulement après l’obtention de l’autorisation. Mais Henry Silberberg mourra peu de temps après, sera déclaré en faillite après une requête de la Banca Italiana di Sconto, datée du 14 décembre 1921, et c’est l’administrateur judiciaire, Louis David, qui fera, le 23 décembre 1921, la demande de paiement des droits de voirie.
La réponse du bureau des alignements nous apprend d’autre part que Silberberg a « outrepassé les termes » de la permission en « ouvrant dans la façade dudit bâtiment une porte en rez-de-chaussée et en y ajoutant 9 m de construction en encorbellement non prévus sur les plans. » L’administrateur devra donc acquitter des charges supplémentaires. D’autant plus que : « M. Silberberg a installé en saillie sur la façade de son immeuble une enseigne lumineuse en potence ».
La veuve d’Henry Silberberg vendra le Louxor le 12 avril 1922 à la « Société Nouvelle du Cinéma Louxor ».
Nicole Jacques-Lefèvre ©lesamisdulouxor.fr
Note :
1. Nous reviendrons dans un prochain article sur l’intérêt que présentent ces plans.