L’expérience du Louxor pourrait-elle faire école dans la capitale belge ? Ce qui est certain, c’est que des cinéphiles bruxellois suivent avec attention ce qui se passe carrefour Barbès et voient dans le sauvetage du Louxor un exemple à suivre. Nous avons été contactés par l’association 7ARTLA, actuellement mobilisée pour la défense du cinéma Arenberg. Son président, Patrice de Brandt, nous explique les raisons de cet engagement et dresse un rapide tableau de la situation de l’exploitation cinématographique à Bruxelles.
Pouvez-vous nous parler de l’association 7 ARTLA ?
Nous sommes des cinéphiles, amoureux et défenseurs du riche patrimoine que représentent les salles de cinéma de Bruxelles et, plus généralement, de Belgique.
Nous nous mobilisons pour sauvegarder l’identité et la connaissance de l’industrie du cinéma (exploitation, programmation, distribution…), parfois oubliées. Nous avons recueilli un fonds très riche de tous les types de documents liés à l’univers des salles de cinéma de Belgique : photos, tickets, programmes, plans, témoignages, objets, matériels… Nous nous efforçons de le valoriser au travers de publications, d’expositions et de manifestations diverses (conférences, colloques…).
L’association 7 ARTLA veut aussi avoir un rôle protecteur lorsque ce patrimoine est menacé.
Vous êtes mobilisés pour la défense du cinéma Arenberg. Pourquoi ? De quel genre de cinéma s’agit-il ?
L’enjeu est ici la survie d’un certain type de cinéma. L’ Arenberg est un petit complexe situé dans le centre historique de la ville, dans la très fréquentée Galerie de la Reine. C’est un cinéma d’ « art et d’essai », sachant toutefois qu’en Belgique, ce terme ne fait pas référence à un « label » attribué aux œuvres et aux salles en fonction de critères très précis, à l’image de ce qui se fait en France. L’équipe qui anime l’Arenberg a toujours eu à cœur de proposer et de défendre les œuvres de qualité et a évité à maintes reprises la logique commerciale. Leur orientation est clairement exprimée : il s’agit de défendre, « cette frange de la cinématographie, créative et réflexive, dont le statut relève de l’œuvre d’art et non du produit, fût-il culturel ». Aussi, quand le propriétaire du lieu décide, pour d’obscures raisons juridico-commerciales, de ne pas renouveler le bail et de fermer le cinéma actuel, l’annonce fait l’effet d’une bombe dans le milieu des cinéphiles bruxellois. Même si ce propriétaire se flatte d’avoir trouvé un repreneur pour la salle sous la forme d’un projet moderniste de projection multimédia…
Notre association, qui a défendu la spécificité de ce lieu et œuvre pour que puisse exister un cinéma d’auteur, ne saute pas de joie devant ce projet dont le flou inquiète. Certes, Bruxelles conservera les deux écrans mais pour quelle offre culturelle ? Puisqu’on nous annonce en vrac cinéma, arts numériques, 3D, films à la demande, jeux vidéo et Wifi, et « concept store ». L’histoire de l’Arenberg que nous aimons se terminera lors de la dernière séance et nous le regrettons amèrement… Le fait est qu’on supprime un cinéma qui marchait bien. Et pour mettre quoi à la place ?
Quelle est la situation de l’exploitation cinématographique à Bruxelles ? Combien d’écrans existe-t-il ?
Bruxelles n’est pas bien riche ! Il y a dix cinémas dont sept disposent de une à cing salles et trois multiplexes composés de huit salles et plus, le tout pour 67 écrans et +/-15.000 places. Ils sont tous situés dans la région de Bruxelles-capitale et principalement en centre ville. Quelques salles font exception et sont situées dans les quartiers périphériques, dont celles du « monstre », le groupe Kinépolis.
Ce sont surtout des multiplexes de grands circuits ? Ou reste-t-il encore des salles indépendantes ?
Les deux grands groupes UGC et Kinepolis se partagent trois des dix complexes de Bruxelles. Les sept autres complexes sont donc aux mains d’exploitants indépendants et c’est une chance pour le public. Mais « indépendants » ne veut pas dire qu’il s’agit de cinéma d’art et essai. Ces exploitants, indépendants des grands groupes, sont obligés, s’ils veulent survivre, d’offrir aussi des films commerciaux. Mais ils intègrent tout de même à leur programmation des films plus intimistes, moins grand public. La capitale de l’Europe peut donc se réjouir de cette offre diversifiée et très attrayante. En effet, la multi culturalité, fer de lance de Bruxelles, se ressent aussi dans l’exploitation. Le public dispose d’un choix intéressant de films : des blockbusters au cinéma d’art et d’essai et cela va du cinéma américain aux petites productions de pays africains.
Il est donc intéressant de constater que la situation n’est pas si mauvaise que cela. En 2008, la fréquentation moyenne par habitant (nombre d’entrées par habitant et par an) en Belgique était de 2.1 alors que Bruxelles présentait un score de 3.8. Les Bruxellois aiment bien le cinéma !
Y a t-il encore à Bruxelles des cinémas dont l’architecture mérite d’être sauvegardée, des cinémas » historiques » comme, à Paris, l’ancien Gaumont-Palace, le grand Rex ou le Louxor?
Bruxelles ne dispose plus de beaucoup d’endroits insolites. La Région bruxelloise n’existe que depuis vingt ans et la politique de sauvegarde du patrimoine n’est guère plus récente. Seules quelques salles ont été classées : l’UGC De Brouckère («salle africaine» de l’ancien cinéma Eldorado), ou le Plaza.
Le Plaza est à l’origine un hôtel de luxe, construit en 1931, auquel fut intégré une somptueuse salle de cinéma de 1500 places, décorée de manière éclectique (mêlant baroque espagnol et cariatides égyptiennes). Il a fermé en 1985, puis a été transformé en magasin de meubles mais la salle fut classée en 1992. Elle est actuellement transformée en centre de congrès.
Plusieurs cinémas ont fait l’objet de procédure de classement : par exemple le Mirano (salle de 1951) ou Pathé Palace (1950) dont les façades sont protégées.
De même, la façade d’origine du Marignan (1959) a été préservée et protégée par un auvent de verre.
Nous constatons, depuis plusieurs années, plusieurs projets fort intéressants de restauration ou de rénovation d’anciennes salles. Par exemple le Marivaux, au centre ville, construit en 1924, était un cinéma de 1500 places, avec 2 balcons, une belle marquise. Il a été modifié et remanié en 1950 puis en 1967. En 1970, sept salles ont été créées. Il a fermé en 1991. Mais la façade et le hall d’entrée, classés en 1998, ont heureusement été restaurés et retrouvé leur aspect d’origine. Il est devenu centre de congrès.
Que vous inspire le sauvetage du Louxor ?
C’est un merveilleux travail et un projet passionnant ! Cela nous encourage beaucoup. Ce projet prouve que, lorsque les forces vives s’unissent, les rêves peuvent encore devenir réalité ! Et au-delà du rêve, il s’agit d’un réel engagement citoyen et d’une belle collaboration entre les citoyens et la ville. Il nous sert déjà de modèle pour de nouvelles aventures.
Propos recueillis par Annie Musitelli ©Les Amis du Louxor
Pour en savoir davantage sur les anciens cinémas de Bruxelles : liens sur le site de 7ARTLA et nombreuses photos sur le site Bruxelles5 Photography