Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que le Louxor figurait dans une BD… L’album Vivre libre ou mourir ! (éditions du Lombard), imaginé par Xavier Aumage, archiviste du Musée de la Résistance nationale de Champigny, est lié aux collections du musée. Le point de départ de chaque épisode est un objet personnel offert par des résistants ou leur famille : sac à main à double fond, ronéo clandestine, faux papier, et autres précieux « outils de clandestinité », pour reprendre les termes de Xavier Aumage. Ils sont mis en scène dans de brefs récits permettant de faire revivre ce que pouvait être l’héroïsme au quotidien pendant l’Occupation.
Accueillis au musée par son directeur-conservateur Guy Krivopissko et l’équipe des archivistes, nous avons ensuite rencontré l’archiviste Xavier Aumage, le scénariste de l’album Jean-Christophe Derrien et le dessinateur Claude Plumail.
Le Louxor apparaît dans l’album Vivre libre ou mourir ! Cet ouvrage n’est pas une BD classique. Pouvez-vous d’abord nous le présenter ?
Xavier Aumage : Vivre libre ou mourir ! se compose de neuf épisodes, tous scénarisés par Jean-Christophe Derrien mais illustrés par neuf dessinateurs différents. Le Louxor sert de cadre à l’une des scènes de La Messagère, l’épisode illustré par Claude Plumail. Il est en fait conçu à partir d’une scène du 2e tome de Résistances : tous les albums de cette série sont écrits par Jean-Christophe Derrien et illustrés par Claude Plumail. À la page 32 du tome 2, Le vent mauvais, on voyait l’héroïne, Sonia, quitter son compagnon pour entrer se « changer les idées » au cinéma Le Louxor à Paris. L’épisode La Messagère se passe en novembre 1940 et nous comprenons alors que Sonia travaille déjà, à l’insu de son compagnon, pour la Résistance.
L’album Vivre ou mourir ! est de nature différente de la série Résistances.
Jean-Christophe Derrien : Les albums de Résistances sont des récits romanesques qui reposent sur des éléments historiques mais s’adressent au grand public. Je consulte Xavier pour savoir si telle ou telle scène est possible mais nous sommes dans la fiction. En revanche, avec Vivre libre ou mourir !, qui est un hors-série, nous évoquons des faits réels, des traces de vie. C’est moins une BD classique qu’un outil pédagogique. Même s’il y a une cohérence avec la série, le public est davantage celui des enseignants, des CDI des établissements scolaires, des médiathèques et tout simplement des passionnés d’histoire.
Xavier Aumage : L’album a été conçu dans le cadre d’un projet lié à une exposition qui a eu lieu à Lyon « Traits résistants » ; chaque thématique y était abordée à partir d’un objet et d’une histoire. C’est ce que nous faisons aussi dans Vivre libre ou mourir !. Par rapport à Résistances, c’est un ouvrage qui a une vocation didactique et dont les enseignants nous disent qu’ils avaient besoin.
Justement, le côté didactique ne risquait-il pas d’être dissuasif ?
Jean-Christophe Derrien : C’était un peu notre crainte et celle de l’éditeur mais curieusement l’aspect didactique n’a pas du tout été une gêne. L’album vient d’ailleurs d’être réédité : il y a une énorme demande de la part des enseignants et des médiathèques.
Claude Plumail : L’album est même très bien perçu, je m’en aperçois à chaque dédicace. Les gens me disent qu’ils apprécient les rappels des faits authentiques évoqués mais aussi les notices sur les objets mis en scène. Cela intéresse, c’est visible, et l’aspect pédagogique est au contraire un plus.
Xavier Aumage : Le projet était d’autant plus important que les derniers acteurs de la Résistance disparaissent, et avec eux, les témoignages directs.
Mais comment le Louxor s’est-il retrouvé dans votre BD ?
Xavier Aumage : Il nous fallait d’abord un cinéma. Cette histoire en six planches permettait de recréer, de découvrir un lieu et par là, de rappeler le rôle des cinémas comme lieu de rendez-vous ou de refuge pendant l’Occupation.
Mais le Louxor ?
Claude Plumail : Je ne vous cache pas qu’au départ, je n’avais pas décidé de choisir ce cinéma plutôt qu’un autre. Je cherchais quelque chose d’original et le Louxor m’a séduit immédiatement.
C’est donc d’abord un choix esthétique ?
Claude Plumail : En effet. Et lorsque j’ai commencé à consulter votre site, je me suis rendu compte de tout ce que ce lieu pouvait évoquer. Il se prêtait très bien à l’histoire.
Jean-Christophe Derrien : En fait, il y a deux types de documentation. Lorsque je prépare un scénario, je rencontre Xavier au musée, nous discutons et il me donne des éléments. Ensuite il y a l’aspect purement graphique. Soit nous pouvons les trouver grâce à Xavier, soit Claude les recherche. Moi, en tant que scénariste, j’écris par exemple : « Elle entre dans un cinéma » mais c’est Claude qui le choisit et ici, il a pris le Louxor. Vous avez vu que le scénario est très simple ; Sonia fait un long trajet à vélo et arrive à bon port malgré un contrôle policier. C’est ensuite Claude qui a défini le déplacement de l’héroïne à vélo.
Vous avez également choisi le trajet selon des critères esthétiques ?
Claude Plumail : Dans le scénario de Jean-Christophe, Sonia doit aller porter le message à Malakoff. Je voulais qu’elle passe par la Concorde. J’ai vérifié sur un plan de Paris : le choix du Louxor collait très bien avec le chemin qu’elle devait prendre, c’était parfait.
Et on peut imaginer que pour évoquer la Résistance, la proximité de la station Barbès-Rochechouart était particulièrement opportune !
Xavier Aumage : Bien sûr ! C’était un lieu emblématique puisque c’est là que le 21 août 1941 a eu lieu la première action armée qui ait connu un tel retentissement. [En réaction à l’exécution de deux jeunes communistes, Pierre Georges (« le colonel Fabien ») abattit l’aspirant de marine Moser à l’arrivée de la rame dans la station. NDLR]. Il y avait déjà eu d’autres actions, mais là, le passage à la lutte armée devenait visible. Le choix du Louxor permettait donc de montrer aussi la station Barbès et d’évoquer indirectement la mémoire de cet évènement.
Dans cet épisode, vous avez ajouté des cases montrant le balcon et aussi l’écran sur lequel est projeté Fric Frac avec Arletty et Michel Simon. Mais savez-vous que si ce film est bien passé au Louxor, ce n’est pas en novembre 1940, date à laquelle votre histoire est censée se passer…
Jean-Christophe Derrien : Mais alors, c’était quand ?
Pendant la semaine du 20 au 26 mars 1940 … Mais il aurait parfaitement pu être projeté en novembre1. Comment avez-vous choisi ce film ?
Xavier Aumage : Nous cherchions tout simplement un film populaire qui ait pu passer dans une salle de quartier en 1940 et une amie de la Cinémathèque nous avait parlé de Fric Frac. A propos de cinéma, nous avons d’ailleurs commencé un travail de recherche avec la Cinémathèque qui a scanné un grand nombre de documents liés au cinéma sous l’Occupation. Mais le travail commence juste. De notre côté, nous avons ici un fonds important d’imprimés clandestins sur la résistance liée au milieu du cinéma. Nous conservons également des archives sur le comité de libération du cinéma (Jean-Paul Le Chanois), des films tournés clandestinement pendant la guerre. Nous venons d’acquérir récemment les archives d’André Delage liées à la préparation et la diffusion du film Bataille du rail de René Clément. André Delage était chargé des aspects techniques, de la logistique de ce film mémorable qui a marqué plusieurs générations.
Claude Plumail : Mais pour en revenir au Louxor, c’est avant tout son aspect atypique qui me séduisait, en tant que dessinateur.
De quels documents êtes-vous parti pour le dessiner ?
Claude Plumail :Presque exclusivement de documents photographiques et je dois dire que j’ai épluché votre site ! J’ai pu retrouver les éléments au fur et à mesure ; c’est le cas notamment de la belle grille en fer forgé au-dessus de l’entrée.
L’épisode de La Messagère illustre l’utilisation par les résistantes du sac à main à double fond. Celui que vous montrez dans la notice de l’album fait partie de vos collections.
Xavier Aumage : Oui, c’est le sac à main d’un agent de liaison d’André Tollet (président du comité parisien de la Libération). Ces sacs font partie de la mémoire de la Résistance. Vous savez que les femmes ont joué un rôle fondamental, notamment pour la transmission de documents, l’acheminement du courrier, la diffusion de la presse clandestine, etc.
Xavier Aumage nous montre un autre sac à main.
Nous avons reçu récemment ce sac à main qui appartenait à la résistante Lise London. En apparence, c’est un sac de forme tout à fait classique. Mais il est exceptionnel. Il y a un indice… Lise nous expliquait qu’elle dissimulait toujours dans son porte-monnaie un petit clou. Regardez bien le sac, cela doit vous mettre sur la piste.
Il nous fait la démonstration :
Le sac a une double paroi de cuir, maintenue par le fermoir métallique que l’on ouvre en ôtant les quatre petits clous qui le maintiennent. On glisse les documents entre les deux parois et on referme en remettant les clous en place. C’est très astucieux. Mais si, en enlevant un de ces clous dans l’urgence, elle le perdait, elle devait pouvoir le remplacer immédiatement. D’où le clou de rechange… Le sac à main évoqué dans La Messagère avait simplement un rabat qui se soulevait à l’intérieur et il est vrai qu’une fouille minutieuse aurait sans doute été fatale.
Mais ces sacs étaient-ils faits sur mesure ?
Pas nécessairement. On utilisait les doublures. Mais il faut savoir aussi que certains résistants travaillaient dans le secteur du cuir et de la peau. Il y avait donc des artisans qui connaissaient le métier et pouvaient donner un coup de main.
Xavier Aumage nous montre un autre de ces objets étonnants, point de départ d’un autre épisode de l’album, Le Tépoi, illustré par Jean Trolley : une caméra amateur miniature dissimulée dans un faux dictionnaire dont les pages ont été évidées.
Cette caméra a été donnée au musée par Francis Porret. Nous avons aussi le film qu’il avait réussi à tourner (et qu’il commente) ; il était projectionniste et parvenait, en se faisant passer pour un opérateur de cinéma, à se procurer de la pellicule. C’est impressionnant, Francis Porret devait être à un moment à trois mètres d’une sentinelle allemande…
Vivre ou mourir ! c’est un très beau titre.
Xavier Aumage : Nous avions une trentaine de propositions et au cours du montage d’une exposition, je suis tombé sur ce titre. Vivre libre ou mourir, c’était un tract de la France combattante, imprimé à Londres, qui a été parachuté en juin 1944.
Quant à la couverture, nous souhaitions reprendre l’idée de La Liberté guidant le Peuple d’Eugène Delacroix; ici elle est transposée dans la Résistance, en écho aussi au poème d’Aragon Brocéliande, écrit en 1942. Fusil à la main, la jeune femme guide les maquisards pour les aider à traverser la forêt et ses pièges, vers la liberté…
Nous remercions Guy Krivopissko, directeur-conservateur du MRN, Xavier Aumage et l’équipe des archivistes, les auteurs de La messagère, Claude Plumail et Jean-Christophe Derrien, ainsi que les éditions Le Lombard de nous avoir permis de publier les images illustrant cet article.
Propos recueillis par Jean-Marcel Humbert et Annie Musitelli ©Lesamisdulouxor.fr
La Messagère, Dessins de Claude Plumail, scénario de Jean-Christophe Derrien, légendes et texte historique de présentation Xavier Aumage, in Vivre libre ou mourir, Edition Le Lombard, septembre 2011
Note :
1. Voir l’article La programmation du Louxor 1940-1944