Programmes des années 1920 et 1930
Bernard Meyre, collectionneur et fidèle ami du Louxor, nous a fait parvenir quelques programmes des années 1920 (Barbès Palace) et 1930 (Gaumont-Palace) qui viennent s’ajouter à ceux du Louxor (septembre 1923 et septembre 1924) et du Barbès Palace (juillet 1921) que nous avions déjà présentés sur notre site.
Pour les cinéphiles qui s’intéressent à l’histoire des cinémas et de leur programmation, les programmes édités dans les années 1920 et 1930 constituent une mine de renseignements sur la composition et le déroulement des séances qui, surtout dans certaines salles dotées d’un orchestre et parfois même d’un orgue (comme le Gaumont-Palace ou le Louxor), s’inscrivaient encore dans la tradition du music-hall.
Années 20
Dans ces deux programmes du Barbès Palace (34 boulevard Barbès), cinéma disparu dont nous avions retracé l’histoire, se retrouve l’organisation classique des longues séances du cinéma muet composées de deux parties séparées par un entracte.
La vogue des films à épisodes : le rôle de la presse populaire
Ciné-romans ou « romans de cinémas »
Ces documents [cliquer sur les images pour les agrandir] témoignent de la place occupée par les films à épisodes, habituellement projetés en première partie de séance, et qui avaient les faveurs du public. Ils contribuaient aussi à le fidéliser, d’autant que les réalisateurs français, soucieux de s’imposer face au puissant cinéma américain, proposaient des sujets originaux ou puisés dans les classiques populaires français, susceptibles de conquérir de nouveaux spectateurs. Pendant la semaine du 3 au 9 juin 1921, la première partie de la soirée comportait le 7e épisode du feuilleton L’Homme aux trois masques (1921), film en douze épisodes d’Émile Keppens et René Navarre, d’après l’œuvre d’Arthur Bernède, et produit par la Société des Cinéromans. Du 30 décembre 1921 au 5 Janvier 1922, la première partie de soirée enchaînait deux feuilletons : le 11e épisode de L’Orpheline (1921) de Louis Feuillade avec la star du muet Sandra Milowanoff et Les Trois Mousquetaires d’Henri Diamant-Berger (11e épisode ).
La presse populaire constituait pour le cinéma un relais précieux : lorsque le film sortait en salles, des journaux parisiens (dont Le Petit Parisien, Le Matin, Comoedia) mais aussi des quotidiens de province en publiaient simultanément les épisodes sous forme de feuilleton. La Société des Cinéromans illustre parfaitement cette collaboration entre presse, producteurs, réalisateurs et auteurs : ainsi Arthur Bernède, crée des personnages (Belphégor, Judex, Mandrin) qui font désormais partie de l’histoire du cinéma et de la littérature populaire. « Le rythme de sortie des films et des feuilletons correspondants est soutenu. Pendant la saison 1921-1922, il y a en permanence un film des Cinéromans en cours sur les écrans et le feuilleton correspondant dans la grande presse »( 1).
Le Petit Parisien publie ainsi, du mercredi 13 avril au 6 juillet 1921, les douze épisodes de L’Homme aux trois masques.–
Les deux autres feuilletons cités dans nos programmes, L’Orpheline et surtout Les Trois Mousquetaires, bénéficièrent aussi de tels partenariats avec des journaux ou revues grand public.
Le film de Diamant-Berger eut même droit à une couverture médiatique exceptionnelle. Non seulement le quotidien Comoedia et les grands journaux de province en publiaient chaque semaine un nouvel épisode mais la revue Cinémagazine faisait paraître le « scénario » d’un chapitre.
Les épisodes de ces nombreux feuilletons étaient également publiés sous forme de fascicules bon marché par divers éditeurs qui avaient bien compris que les spectateurs étaient aussi des lecteurs ! Ci-dessous, l’exemple de Judex (1917), film de Louis Feuillade d’après un feuilleton d’Arthur Bernède. Il était courant ensuite de les rassembler en un volume complet illustré de photos du films.–
Les revues de cinéma ne se contentaient pas de signaler les parutions de ces ouvrages. La critique s’intéressait aussi aux questions posées par la transposition du film au feuilleton écrit. En témoigne cet article de l’un des rédacteurs de Cinémagazine qui juge nécessaire de dégager quelques grands principes : « Comment on écrit un Roman-Cinéma ».( Lire l’article). On constate d’ailleurs qu’avec l’essor des revues de cinéma, la création de pages « Courrier des lecteurs », les débats étaient nombreux et animés sur cet art en pleine évolution : intérêt des films à épisodes, médiocrité de certains d’entre eux, emploi des sous-titres (jugés par certains inutiles et par d’autres, inadaptés), rôle de la musique, etc.
Adaptations littéraires
Les longues soirées du cinéma muet comportaient toujours un ou deux longs métrages. Le « grand film » de la semaine (une sortie récente), projeté en fin de séance, avait souvent droit à un résumé dans le programme.
Les réalisateurs français aimaient puiser dans le patrimoine littéraire – romans, pièces de théâtre – et cherchaient à attirer dans les salles, par des œuvres de qualité, une clientèle plus bourgeoise et intellectuelle pour laquelle le cinéma restait un loisir encore décrié, voire méprisé.(2)
Une Salomé moderne (Barbès Palace, septembre 1921), tourné par Léonce Perret aux États-Unis pendant son séjour outre Atlantique (1917-1921) avec des acteurs américains, était inspiré de Salomé (1893), pièce d’Oscar Wilde écrite en français. Un Drame sous Napoléon (projeté à la même séance), film de Gérard Bourgeois sorti en mai1921, était une adaptation d’un roman d’Arthur Conan Doyle, L’Oncle Bernac (Uncle Bernac, A Memory of the Empire, 1897). Du 30 décembre 1921 au 5 Janvier 1922, l’assistance qui s’était détendue avec un court-métrage comique, Pompon pompier, pouvait affronter les malheurs de Gervaise dans L’Assommoir, « L’Œuvre Grandiose d’Emile Zola ». À l’occasion de la sortie du film, Cinémagazine consacrait le 27 janvier 1922 un long article à l’adaptation des œuvres d’Emile Zola au cinéma. Lire l’article.–
Cinéma et spectacle musical
Selon les salles, la musique pouvait être une part essentielle de la soirée. Il ne s’agissait pas simplement d’accompagner – pendant les années 20 – les images muettes ou – dans les années 30 au Gaumont – d’offrir de simples intermèdes musicaux. Le programme du Barbès Palace n’oublie pas de rappeler que, gage de qualité, son orchestre est composé de « premiers prix du Conservatoire ». Sous la conduite de son chef M. Thévenin, il animait la soirée dès l’arrivée des spectateurs et intervenait entre les projections des films. Les soirées du Gaumont-Palace, ouvert en 1911, Place Clichy, dans l’ancien Hippodrome, et dont la silhouette imposante et immédiatement identifiable figurait toujours en bonne place sur les programmes, comportaient le même type de films qu’au Louxor ou au Barbès Palace, mais ce cinéma savait exploiter un atout non négligeable : sa taille et les moyens exceptionnels dont il disposait (n’est-il pas « le plus grand cinéma du monde », capable d’accueillir jusqu’à 5500 spectateurs ?). Tout se devait d’être « grand » au Gaumont : ses « Grandes Attractions », son « Grand Bar » et surtout, son « Grand Orchestre de 50 musiciens » doté de deux chefs, qui lui permettait d’offrir des concerts à part entière et un accompagnement musical de grande qualité.(3)
Son directeur musical, Paul Fosse, ne se contentait pas de diriger l’orchestre, il était aussi compositeur et auteur d’arrangements musicaux conçus spécifiquement pour l’accompagnement des films. La soirée mettait à portée du grand public des musiques variées, dont des œuvres (ou des extraits d’œuvres ) de grands musiciens. Une telle qualité n’était pas monnaie courante si l’on en juge par certains articles fort sévères sur la piètre qualité de la partie musicale des séances proposées par de nombreuses salles qui n’était plus « qu’un assemblage de sons désagréable à l’ouïe, falot et tremblotant, disparate autant qu’il est possible et nuisible aux films souvent médiocres » (Cinémagazine, 21 octobre 1921). Seuls trouvent grâce aux yeux de notre critique les « quelques établissements de grand style, disposant de moyens puissants, d’orchestres et de chefs d’orchestre dignes de la salle dont ils animent les échos [..] » (voir l’article). Nul doute que le Gaumont-Palace en faisait alors partie.–
Années 30
Même après l’arrivée du cinéma parlant, la place de la musique et du spectacle est restée dans cette salle une part essentielle de la soirée. Derrière sa nouvelle façade, le Gaumont-Palace, restructuré en 1931 par l’architecte Henri Belloc, reste fidèle à lui-même et continue de proposer des soirées qui s’apparentent au concert, au spectacle de variétés et au music-hall. Soirées musicales et chorégraphiques, spectacles de cirque, cette salle se plaçait dans une autre catégorie que le Louxor ou le Barbès Palace qui, pendant les années 30, offraient essentiellement au spectateur une soirée de cinéma (documentaire, actualités, et deux longs métrages), agrémentée seulement d’une ou deux modestes attractions (4).
Le programme ci-dessus témoigne de l’évènement que pouvait constituer une sortie dans cette salle prestigieuse. Il y avait, bien sûr, le cinéma proprement dit avec un dessin animé, une » scène comique » (Octave d’Yves Mirande) et en deuxième partie le long métrage, en l’occurrence Delphine (1931), de Roger Capellani, dont la musique et les chansons interprétées par Henri Garat contribuèrent largement au succès. Mais le public se pressait aussi au Gaumont-Palace pour les variétés : concert du grand orchestre qui accompagnait cette semaine-là une artiste d’une certaine notoriété (Maria Axarina) ; mais aussi spectacle de danse puisque le cinéma disposait de son propre corps de ballet qui s’ajoutait au « 24 Helena Stars » !
Autre atout du Gaumont : son célèbre orgue Christie (voir notre article), construit par la Société Hill, Norman and Beard, Ltd, « fournisseurs de la Cour d’Angleterre », qui remplaça lors de la transformation de la salle l’orgue installé à l’époque du cinéma muet.
Dans cet autre programme du 5 au 11 mai 1933, musique et variétés font encore part égale avec le cinéma puisque la première partie du spectacle (à l’exception des actualités) y est consacrée, avec un concert d’orgue (à la console le grand Tony Desserre) suivi de plusieurs attractions variées. Selon l’historien du cinéma Jean-Jacques Meusy, « le spectacle de l’orgue, dont la grande console s’élevait de la fosse au moment des intermèdes était un spectacle dont se souviennent encore bien des personnes âgées. En palissandre verni, cette console était recouverte de contreplaqués blancs amovibles, ornés d’étoiles argentées, lorsqu’on désirait produire sur elle des effets lumineux colorés d’un goût très américain. C’était probablement le seul cinéma français dont les solos d’orgues et les accompagnements d’attractions par cet instrument se sont poursuivis bien au-delà de la Seconde Guerre mondiale ».(5)
On retrouve le même type de soirée en 1936 (4-10 septembre) avec une première partie consacrée à la musique et aux attractions, précédant le grand film.–
Quant aux réclames qui figuraient sur les programmes de ces salles de quartier et qui évoquent l’ « indéfrisable Gaston », les parfums vendus au poids, le « Cornexqui » de l’entracte et « La Dent de porcelaine », les images qui suivent auront sans doute pour certains lecteurs comme un parfum de nostalgie…
Annie Musitelli ©lesamisdulouxor.fr
Notes
1. Dictionnaire du cinéma des années 20, sous la direction de François Albera et Jean A. Gili, AFRHC – Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, juin 2001, pages 114-115.
2. François Albera et Jean A. Gili, op. cit., pages 111-116.
Voir aussi : Christophe Trébuil, « L’écran qui fascine : spectateurs dans les salles de cinéma des années vingt en France », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 48, 2006, mis en ligne le 01 février 2009. http://1895.revues.org/339
3. Jean-Jacques Meusy, Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), CNRS éditions, 2002, pages 285-290
4. Programmes des années 30 consultables dans La Semaine de Paris.
5. Jean-Jacques Meusy, « Lorsque l’orgue s’invita au cinéma », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 38, 2002, mis en ligne le 17 janvier 2007. http://1895.revues.org/219
Tous les programmes : collection Bernard Meyre
Presse quotidienne et revues : Bibliothèque nationale de France (Gallica ) et Cinémathèque française (ressources numériques dont Cinéa et Cinémagazine).