–Affluence des grands jours pour le premier Ciné Concert
Dimanche 15 mars 2015 à 11 heures, dans la salle Youssef Chahine pleine à craquer, grands et petits étaient venus retrouver ce qui fit autrefois les beaux jours du Louxor : le cinéma muet. Et ils le redécouvraient, qui plus est, projeté sur l’écran « historique » de 1921, habituellement dissimulé derrière le grand écran escamotable.
Mais loin d’être gêné, ou dérouté, par ce « petit » écran de 6 mètres de large sur 4,50 de haut, le spectateur de 2015 a l’impression d’entrer dans l’image avec la même facilité que lors de projections classiques. En effet, comme l’a rappelé Emmanuel Papillon, les films muets étaient tournés en format d’image 4:3, proportions exactes de l’écran « historique » du Louxor, donc parfait pour la projection de films muets. Nous retrouvons ainsi, a-t-il ajouté, le véritable « angle de vision de nos ancêtres ».
Serge Bromberg en « homme-orchestre »
La projection était accompagnée par Serge Bromberg sur un beau piano à queue Yamaha – prêt gracieux du Centre Chopin qui permettra ainsi l’organisation régulière de telles séances. Serge Bromberg, spécialiste passionné de cinéma muet dont il a déjà restauré et fait redécouvrir de nombreux chefs d’œuvre, sut créer, pour chaque court métrage, une atmosphère musicale originale.
On s’imagine trop que le cinéma muet était le « monde du silence » : loin s’en faut, le projecteur était dans les débuts le plus souvent dans la salle, et, même protégé en cabine, son bruit était clairement audible ; et le public parlait, fumait, s’apostrophait, bref, le pianiste – véritable « homme-orchestre » –, avait donc autant à faire pour maintenir avec autorité et doigté l’attention des spectateurs que s’il accompagnait une gouailleuse dans un beuglant.
Une des qualités de Serge Bromberg, excellent « pianiste de cinéma », à la fois compositeur et interprète pionnier, est surtout de se faire oublier, tant sa prestation sonore « colle » à l’image. Car il ne s’agit pas de faire du pastiche, il faut surtout recréer une ambiance sonore qui soit agréable à notre oreille de ce début du XXIe siècle, sans pour autant négliger le rôle qu’avait le piano (et ensuite l’orchestre) pour souligner les moments les plus importants du film (drôlerie, violence, tristesse, émotion).
La recherche des partitions de l’époque, la relation de la musique à l’image, les diverses manières d’accompagner les films muets, tout cela fait maintenant l’objet de cours en faculté, et jusqu’au Collège de France : par exemple le cours de Karol Beffa, « Comment accompagner un film muet » (20 décembre 2012) montre notamment en direct différentes manières d’accompagner un même extrait de film.
L’intérêt pour ce phénomène musical passionnant n’est pas nouveau, comme en témoignent certains articles (maintenant accessibles en ligne) qui l’étudient de manière approfondie, mais il connaît actuellement une véritable renaissance. Mario Verdone, historien du cinéma et critique, publiait déjà en septembre 1966 « Le Monde sonore du film muet ». Citons parmi les publications plus récentes, Giusy Pisano, « Sur la présence de la musique dans le cinéma dit muet », dans la revue 1895 (Mille huit cent quatre-vingt-quinze), n° 38 (2002). On trouve aussi sur le sujet des dossiers : par exemple le catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, Musique et cinéma muet, ou des livres comme La Musique au cinéma de Michel Chion, Fayard, 1995.
Au Louxor, le public a eu le plaisir de redécouvrir L’Émigrant (1917) de Charlie Chaplin dans une copie magnifiquement restaurée. Venait ensuite la très célèbre Maison démontable (One Week, 1920) de Buster Keaton et Eddie Cline dont le burlesque n’a rien perdu de son efficacité. Le dernier court-métrage programmé, Œil pour Œil (Big Business, 1929), de James W. Horne avec Laurel et Hardy, réalisé, a rappelé Serge Bromberg dans sa présentation, alors même que le cinéma parlant existait déjà, montre de manière implacable et glaçante, à partir d’un banal différend entre deux vendeurs et un client peu aimable, la montée irrésistible et irrationnelle de la violence jusqu’au paroxysme final qui aboutit à la complète destruction de la maison de l’un et de la voiture des deux autres.
Et si l’on en juge par l’accueil enthousiaste des spectateurs, les prochains Ciné concerts du Louxor ont d’ores et déjà trouvé leur public !
Jean-Marcel Humbert et Annie Musitelli © Les Amis du Louxor
Prochains Ciné Concerts :
vendredi 17 Avril à 20h : L’Homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov
mardi 16 juin à 20 h : Visages d’enfants (1925) de Jacques Feyder