L’Eldorado est le seul survivant des six cinémas que comptait encore l’île d’Oléron dans les années 70. Comment vit un cinéma Art et Essai dans une ville de 6 793 habitants (mais 4 à 5 fois plus en été ) ? Marie-France Auzépy, qui fait de fréquents séjours dans l’île d’Oléron, trouvant la politique culturelle de l’Eldorado (programmation, scolaires, avant-premières, ciné-concerts) assez semblable à celle du Louxor, est allée interviewer pour Les Amis du Louxor leur directeur, Philippe Chagneau, le 27 juillet 2016.
D’où vient le nom du cinéma « Eldorado » ?
La salle, une salle de théâtre au nom d’Eldorado, a été construite en 1894. Elle est devenue une salle de cinéma en 1910, mais elle a gardé son nom et ce, jusqu’à aujourd’hui. Eldorado était un nom souvent donné aux salles de cinéma, comme on peut le voir en cherchant « Eldorado cinéma » sur Internet. L’Eldorado de Dijon, par exemple, est bien connu. En 2010, nous avons fêté le centenaire et projeté un film qui avait été projeté à l’inauguration du cinéma, Le Pied de mouton, d’Albert Capellani, un émule de Méliès. C’est un court métrage en partie colorisé au pochoir sorti en 1907.
Comment la salle a-t-elle évolué ?
Le bâtiment originel, qui est devenu la salle 1, était un bâtiment en pierre sans fondation. Dans les années 1930, a été ajouté un très grand hall devant la salle.
Y avait-il plusieurs cinémas à St-Pierre ? sur l’ïle ?
Il y avait un autre cinéma à St-Pierre, le Familia, à côté de la poste. En tout, sur l’île, il y avait six cinémas : en plus des deux de St-Pierre, l’Eden, à Chéray/SaintGeorges, qui a fermé dans les années 70 comme celui du Château d’Oléron, un à Boyardville, qui a fermé en 1985, et un à St-Trojan, le Casino, qui a fermé il y a 5 ou 6 ans.
Quand avez-vous commencé à exploiter l’Eldorado ? Dans quelles conditions ?
En 1982, un groupe de 5/6 personnes dont je faisais partie, n’a pas voulu laisser mourir l’Eldorado qui allait fermer. Son directeur, Monsieur Tuffery, exploitait aussi le Familia dont il était propriétaire, alors qu’il était locataire de la mairie à l’Eldorado, et il voulait concentrer ses efforts sur le Familia. Nous nous sommes constitués en association loi 1901, appelée Le Local, et nous avons envoyé une lettre à la mairie pour lui demander de reprendre l’exploitation, ce qui a finalement été accepté. Le Local a donc passé une convention avec la municipalité. L’Eldorado a fermé en septembre 1982 et nous avons rouvert le 30 décembre 1982, en ayant entre temps, en novembre, fait une manifestation cinéma avec Jean-Pierre Mocky et Lucas Belvaux (rôle principal dans Allons z’enfants, d’Yves Boisset). Nous n’offrions au début que 3 séances par semaine. Je suis devenu directeur alors que mes compétences ne dépassaient pas ma cinéphilie, même si j’avais passé les six mois précédant l’ouverture, où j’étais au chômage, à aller voir ce qui se faisait dans différents cinémas. Je n’avais au départ qu’un demi-emploi aidé.
Comment la situation a-t-elle évolué ?
En deux ou trois ans, nous sommes arrivés à offrir une programmation continue tous les jours de la semaine avec un salarié et demi en emploi aidé. Nous avons été classés Art et Essai dès l’ouverture et nous sommes arrivés à équilibrer nos comptes sans aide de fonctionnement de la municipalité sauf une aide minime au tout début.
L’Eldorado est maintenant complètement rénové, avec trois salles. Quand la rénovation a-t-elle eu lieu et comment s’est-elle passée ?
Il y avait eu une première rénovation en 1986, quand nous avions pris une partie de l’immense hall pour faire une deuxième salle. La dernière rénovation a été terminée en avril 2010 avec l’ouverture de la troisième salle. Cela a été une longue histoire. La rénovation était au départ un projet municipal, que la mairie avait budgété à hauteur de 4 millions d’euros. La rénovation s’est faite par étapes, mais alors que les derniers travaux, ceux de la salle 3, étaient en cours, l’argent a manqué. Diverses solutions ont été envisagées, comme de faire une salle en plein air. Un changement de municipalité a permis un changement d’attitude : la nouvelle municipalité s’est tournée vers la communauté de communes qui a accepté de mener à bien le projet, mais à condition de devenir propriétaire du bâtiment, ce qui a été accepté. Entre temps, une délégation d’élus était allée plaider la cause de la troisième salle auprès de Pierre Bergé, natif d’Arceau, village dépendant de la commune de Saint-Pierre d’Oléron : à leur stupéfaction, celui-ci leur fit à la fin de l’entretien un chèque de 125 000 euros, dont je garde la photo dans mon bureau, et leur promit 20 000 euros pendant 5 ans pour soutenir les actions culturelles dans la commune. Aussi la salle 3 de l’Eldorado porte-t-elle le nom de Pierre Bergé.
Quelle est la situation actuelle ?
L’Eldorado est exploité par Le Local qui me salarie en tant que directeur dans le cadre d’une délégation de service public faite par la communauté de communes de Marennes Oléron. Les trois salles ont respectivement 200 places (salle 1, la salle historique), 102 places (salle 2), 290 places (salle 3, avec une avant-scène qui permet les spectacles). Nous sommes désormais 5 salariés pour quatre emplois et demi (le directeur, deux projectionnistes, 2 temps partiels).
La fréquentation est-elle constante durant l’année ? Quels films ont fait le plus d’entrées ?
Nous faisons proportionnellement plus d’entrées l’été que l’hiver, ce qui est relativement normal, la population de l’île décuplant pendant l’été. En 2015, sur un total de 93 223 entrées, les quatre mois d’été en ont cumulé 39,4 % et les huit mois d’hiver 60, 6%. Quant à nos meilleurs succès sur les dix dernières années, ce sont dans l’ordre Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu (8371entrées), Harry Potter (7200) et Ratatouille.
Le programme de l’Eldorado est distribué toutes les trois semaines dans tous les Offices de tourisme et surtout dans tous les commerces de l’île. Qui assure la fabrication et la distribution de ce programme ?
C’est moi qui fais la maquette des programmes, qui est envoyée le vendredi chez l’imprimeur (au début, nous l’imprimions nous-mêmes) pour être disponible le lundi. Le programme est tiré à 8000 exemplaires l’hiver et 15 000 l’été. Il est distribué dans toute l’île par mes collaborateurs et moi-même (trois personnes l’hiver, quatre l’été), nous nous répartissons les espaces géographiques. C’est un gros investissement, mais c’est un outil inestimable de communication.
La programmation est très diverse : des blockbusters en sortie nationale, mais aussi beaucoup de films d’art et essai et parfois des films rares, des reprises, présentés en jouant sur les horaires et sur les salles. Comment l’établissez-vous ?
Nous avons les trois labels des salles Art et Essai (Jeune Public, Recherche et Découverte, Patrimoine et répertoire) ce qui est assez rare et nous permet en effet une programmation variée. Toutes les trois semaines j’envoie la liste des films que j’aimerais projeter à l’Eldorado (une liste par semaine) au groupement de programmation VEO basé à Egletons, dans la Corrèze, dirigé par Jean-Pierre Villa. VEO négocie auprès des distributeurs et fait redescendre les décisions auprès des exploitants : il envoie ainsi à l’Eldorado une liste par semaine des films retenus par les distributeurs, qui n’est pas forcément exactement la même que celle que j’ai envoyée. Avec cette liste et un tableau Excel des salles et des jours de la semaine, j’établis mon programme en tenant compte des demandes des distributeurs, qui sont particulièrement exigeants, surtout en ce qui concerne les sorties nationales (20 séances sont parfois exigées).
Quelle est votre politique en direction du jeune public ?
Nous faisons un gros travail l’hiver avec les scolaires (écoles/collèges/lycées) : projections et lecture de films pendant le temps scolaire. Nous organisons en novembre un Festival Jeune Public avec des ateliers en liaison avec l’association régionale Clap Poitou-Charentes. En revanche, peu de choses ont lieu le mercredi avec les Centre aérés, qui semblent peu intéressés par le cinéma.
L’Eldorado est-il utilisé comme salle de spectacle et/ou comme salle à vocation culturelle ?
Le service culturel de la ville de St-Pierre utilise parfois la salle 3 de l’Eldorado pour des concerts, bien plus rarement pour du théâtre. Pour ma part, j’offre aussi des soirées à thème, des retransmissions d’opéra, des ciné-concerts et des soirées avec un concert plus un film sur une thématique donnée. Pour les autres demandes, c’est une négociation à l’amiable en raison de l’intérêt culturel du projet : ainsi l’Université du Temps Libre utilise la salle 1 tous les lundis après-midi de l’année scolaire, vacances exclues.
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Marie-France Auzépy © Les Amis du Louxor