La société Gentil et Bourdet, qui a réalisé les mosaïques des façades extérieures du Louxor, a décoré nombre d’édifices et de paquebots, dont certains également à l’égyptienne. Les façades de la pharmacie égyptisante de Clermont-Ferrand (dont le décor intérieur a maintenant disparu) viennent ainsi d’être inscrites à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Dans la revue en ligne In Situ du 12 juillet 2016, Jean-Marcel Humbert consacre à la dissociation et à la dispersion de ce qui constituait « un ensemble unique » un article dont il nous présente les grandes lignes.
Au moment même où la société Gentil et Bourdet terminait la pose des mosaïques décoratives à l’égyptienne de la façade du Louxor, un pharmacien de Clermont-Ferrand, le docteur Léon Gros, féru d’Égypte ancienne, lui commandait le décor en mosaïques des devantures de la nouvelle pharmacie qu’il faisait construire dans sa ville par l’architecte Louis Jarrier (1921-1922).
Cette pharmacie avait la particularité d’être entièrement décorée à l’égyptienne, extérieurement et intérieurement, ce qui en faisait un exemple unique. Le décor extérieur était, comme au Louxor, destiné à attirer la clientèle par des éléments hors du commun. En même temps, il permettait au public de différencier ce commerce de ses concurrents. Enfin, le pharmacien s’en était également servi pour décrire certaines des activités de son officine. La médecine et la pharmacie étaient des sciences déjà bien connues et développées dans l’Égypte Ancienne : nulle surprise donc de les voir reprises à l’époque contemporaine dans le cadre de créations décoratives faisant appel à l’égyptomanie.
Il semble qu’il n’y ait aucun lien direct entre le Louxor et la pharmacie clermontoise, en ce qui concerne la conception du décor, ni la manière de le traduire en mosaïque. Seules la technique utilisée – et la société qui a réalisé les façades – peuvent constituer des liens entre les deux décors. Rien ne permet de dire que ce soient les mêmes artistes qui y ont travaillé. Toutefois, si la technique est la même, rien ne rapproche stylistiquement les deux décors, comme on peut notamment l’observer dans les deux manières de traiter la colonne papyriforme ; cela tendrait à confirmer l’hypothèse émise à propos du Louxor : la société Gentil et Bourdet ne serait pour rien dans la conception du décor, et n’aurait eu qu’un rôle d’exécutant. Dans les deux cas, architectes et maîtres d’ouvrage auraient fourni les dessins, Gentil et Bourdet se contentant de les traduire en mosaïque.
Alors qu’au Louxor les mosaïques restent totalement décoratives et en grande partie Art déco, elles sont à la pharmacie, en plus, descriptives. Le traitement en arrondi de l’angle du magasin a permis de ménager un espace important propre à recevoir un décor spécifique, mêlant des éléments égyptiens et pharmaceutiques variés en relation avec le commerce concerné. Sous une frise de cinq uraeus dressés, l’essentiel de la surface est occupé par une scène de psychostasie (pesée inspirée de celle du cœur lors du jugement de l’âme dans le Livre des morts de l’Antiquité égyptienne) quelque peu arrangée : au sol, deux figures masculines grandeur nature, coiffées de perruques noires (et non pas du némès comme on le voit tant, ce qui tendrait à montrer ici le sérieux des recherches documentaires).
À gauche, un personnage agenouillé vêtu d’un pagne long prépare une mixture dans un grand pot tandis qu’à droite, un personnage debout vêtu d’un pagne court semble préposé à la pesée de l’âme ; la balance est en effet l’un des accessoires les plus importants du pharmacien, mais la scène reste, du point de vue égyptologique, peu précise. Dans le plateau de gauche de la balance, un petit personnage, bras écartés, et dans celui de droite, un taureau Apis, un uraeus et un bouquet de trois fleurs de lotus. Le décor du centre du fléau, avec un disque ailé, est bien sûr une adaptation égyptisante, là où aurait dû figurer la déesse Maât ou un babouin. Le plateau le plus lourd est celui contenant le petit personnage.
Un décor intérieur presque totalement disparu
Mais la seule qualité de son décor extérieur n’a pas suffi à protéger l’intérieur de la pharmacie. Celui-ci se composait d’un ensemble de belles boiseries, d’étagères, de vitrines, de comptoirs, d’un meuble caisse et de chaises entièrement de style égyptisant en chêne et en placage d’érable moucheté.
L’un des rayonnages était surmonté d’un disque ailé dont le soleil était remplacé par une pendule encadrée de deux uraeus.
Du fait de leur nécessaire modernisation, les pharmacies anciennes constituent l’un des secteurs menacés du domaine privé. C’est ainsi que la pharmacie Gros a vu la plus grande partie de son mobilier dispersée au début des années 2000, et le reste plus récemment en 2015. Il ne reste plus maintenant à sauver que le décor extérieur en mosaïques de la société Gentil et Bourdet, tout aussi menacé depuis la fermeture de la pharmacie (juin 2015).
Comme pour le Louxor, c’est l’originalité de son décor à l’égyptienne qui a permis aux façades de cette pharmacie d’être inscrites – très tardivement – au titre des monuments historiques (arrêté du préfet d’Auvergne Rhône Alpes en date du 18 mars 2016), ce qui, espérons-le, pourra permettre d’ouvrir une perspective plus positive sur la bonne conservation future du décor de mosaïques Gentil et Bourdet.
Texte et photos © Jean-Marcel Humbert
L’article est disponible dans son intégralité sur le site In Situ.
Référence électronique :
Jean-Marcel Humbert, « La pharmacie « égyptienne » Léon Gros à Clermont-Ferrand : dissociation et dispersion d’un ensemble unique », In Situ [En ligne], 29 | 2016, mis en ligne le 12 juillet 2016. URL : http://insitu.revues.org/13231
Éditeur : Ministère de la culture et de la communication, direction générale des patrimoines
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