Nous enrichissons notre rubrique consacrée aux utilisations du Louxor comme décor de cinéma par un retour aux années qui ont suivi la fermeture du cinéma en 1983.
Hiver 1986, Philippe Decouflé cherche un lieu pour tourner un film de danse qu’il prévoit à la fois quelque peu déjanté, surréaliste et humoristique. C’est alors qu’il entend parler du Louxor, un ancien cinéma à l’abandon, qu’il pourrait totalement investir. Il demande donc l’autorisation de tourner dans le bâtiment au propriétaire de l’époque, la société Tati, qui avait espéré transformer le Louxor en magasin. L’autorisation accordée a pour conséquence annexe de retarder l’ouverture de la boite de nuit La Dérobade. Le Louxor devient donc décor de cinéma, et c’est dans ce lieu abandonné, rendu insolite par des cadrages et des éclairages recherchés, que va se dérouler le tournage. L’un des intérêts du film, surtout après bientôt quelque quarante ans, est de montrer le Louxor d’une manière totalement inédite. Outre le haut de la terrasse, on en verra un balcon, le sous-sol et plusieurs escaliers.
Né en 1961, danseur et chorégraphe, Philippe Decouflé essaie de traduire des influences diverses, mêlant Tex Avery et Groucho Marx. Il suit un parcours à la fois régulier et varié, où la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville (1992) marque sa reconnaissance par le grand public. Le film doit se dérouler dans un cadre étrange et trash d’un théâtre « qui a connu des jours meilleurs ». Une compagnie loufoque y joue une revue de variétés. Les situations les plus étranges et les plus improbables se succèdent, devant un reporter aux grandes oreilles, seul spectateur, qui n’en croit pas ses yeux.
C’est donc ce reporter armé parfois d’un appareil photo qui va constituer le fil conducteur du film. On le voit d’abord, au début, consulter l’affiche Art déco du spectacle Caramba, à l’entrée d’un théâtre qui est en fait la terrasse du Louxor. Décidant d’entrer, il commence par prendre un billet auprès d’un inquiétant guichetier, étrange homme-machine à la coiffure magnifiée par des éclairages sophistiqués. Le reporter devient alors spectateur, pointant en avant une longue visière encadrée de ses deux oreilles décollées caractéristiques. Il va petit à petit s’enfoncer dans les entrailles de la salle, pour assister au plus étrange des spectacles, entre le Cabinet du Dr Caligari, Salvador Dali, les Deschiens et bien sûr un zest d’un Groland qui n’existe pas encore (début de la série en 1992).
Ce personnage un peu loufoque et décalé est interprété par Christophe Salengro, danseur atypique de près de deux mètres de haut qui avait intégré la troupe de Decouflé dès la fin des années 1980. Il a dansé aussi dans la série Palace, et a également laissé un souvenir marquant dans le monde de la publicité avec ses clips pour la société Gerflor dont une dalle constituait son seul vêtement, qu’il lâchait en prononçant un inoubliable « Et hop ! ». Mais c’est en 1992, lorsqu’il rejoint Canal Plus et son émission vedette Groland, qu’il connaît une immense notoriété en interprétant le président de la présipauté. Il est décédé en 2018, mais grâce aux images d’archives, continue d’apparaître dans Groland.
Nous invitons le lecteur à visionner le film pour découvrir un étrange magicien et une femme se trémoussant sur une machine à laver en folie. On voit d’ailleurs de la vapeur s’échapper de sa bouche quand elle crie. En effet, l’hiver 1986 avait été particulièrement rude (- 15 ° C à Paris), et le Louxor n’était plus chauffé…
Mais c’est la grande scène finale, faite de danses tribales, qui nous intéresse tout particulièrement. En effet, on y découvre avec amusement que le totem adoré par une peuplade africaine est en fait l’un des anciens luminaires de la salle, qui avaient été mis en place lors de la rénovation de 1954. « Des panneaux, à l’avant de la salle, recouverts de tissu ton champagne, en amiante et soie de verre, indispensable pour la bonne acoustique, sont décorés par de hautes appliques métal et verre en forme de palmes » (Pathé Magazine n° 10, 2e trimestre 1955). Ces luminaires furent remplacés lors de la réfection suivante (certainement en 1964, celle de 1978 ayant dû être faite à l’économie) par des gerbes de lampes. Les vieux luminaires ont dû être alors entreposés dans le sous-sol, où les accessoiristes du film en ont prélevé un, qu’ils ont remonté sur un socle en forme de tête.
Terrorisé par un tel spectacle, notre reporter s’enfuit en dévalant l’un des escaliers du Louxor…
Caramba
Fiction, 8 min, 35 mm couleur
Direction artistique / Conception et réalisation : Philippe Découflé
Chorégraphie : Philippe Decouflé
Interprétation : Christophe Salengro, Janet Latimer, Philippe Découflé, Michèle Prelonge, Angelica Chaves, Monet Robier, Veronique Ros de la Grange, Samuel Leborgne, Frederic Werle, Herman Diephuis, Denis Giuliani, Philippe Chevalier, Spot, Christophe Lidon
Musique originale : Hugues de Courson
Costumes : Philippe Guyotel
Décors : Cecile Frances, Minibrin, Olivier Crespin, Vlerick Verbrin, Gilles Nicolas
Production / Coproduction de l’œuvre vidéo : Gedeon Production 86
Producteur vidéo : Gédéon, Compagnie DCA, Arcanal.
Prix du Ministère de la Culture pour Caramba en 1987.
Les illustrations du présent article sont des copies d’écran tirées directement du film.
Jean-Marcel Humbert ©lesamisdulouxor.fr