C’est un plaisir de saluer outre Atlantique la rénovation exemplaire que vient de connaître, à l’instar de notre Louxor, le fameux cinéma Grauman’s Egyptian d’Hollywood. Son histoire, qui se développe sur 101 ans, a connu comme le Louxor des phases de gloire et d’autres de grandes dépressions, faisant même craindre à plusieurs reprises sa disparition. Il repart aujourd’hui bien armé pour un nouvel épisode de sa vie pleine de rebondissements.
Le célèbre cinéma « égyptien » d’Hollywood, petit cousin du Louxor ouvert un an après celui-ci, le 18 octobre 1922, a connu une vie pour le moins agitée, dont vous trouverez ici même l’histoire, ainsi qu’une galerie photographique. Depuis cet article publié en 2009, la situation de la salle a continué à fluctuer, l’American Cinematheque qui l’occupe ayant toujours de grosses difficultés à maintenir en état les bâtiments. Car la construction, conçue un peu comme un décor de cinéma, sans pari sur sa durée d’existence, a toujours présenté des signes de faiblesse nécessitant des reprises en sous-œuvre, augmentant d’autant les coûts d’exploitation. À nouveau menacée de fermeture, la cinémathèque en est arrivée à lancer des pétitions pour sauver l’institution.
C’est alors qu’un nouvel acteur, Netflix, est intervenu en 2020, qui cherchait un lieu emblématique susceptible d’accueillir ses avant-premières. Un accord difficile à trouver a fini par être conclu, qui respecte les intérêts aussi bien du nouvel acquéreur, de la cinémathèque que des spectateurs, puisque les activités courantes de présentations de films anciens ou d’art et essai pourront continuer les vendredis, samedis et dimanches, Netflix se réservant par ailleurs des moments d’exploitation pour ses Premières et pour ses activités permanentes. L’intérêt majeur de ce nouveau montage technique, financier et juridique, est donc que la salle et ses abords ont été de nouveau restaurés, plus en profondeur et incomparablement mieux qu’en 1998. Le nouveau propriétaire a en effet pris à sa charge la rénovation de l’ensemble qui avait passablement vieilli malgré les interventions répétées depuis la fin des années 90, et notamment une importante campagne de restauration en 2016, qui a essentiellement touché les extérieurs et en particulier les peintures murales souffrant en continu des intempéries et des variations de température.
Dès que l’on franchit la nouvelle grille donnant accès à l’avant-cour, on remarque que celle-ci a perdu ses deux alignées de palmiers chétifs qui y avaient été plantés, et a ainsi retrouvé ses proportions d’origine. Le vaste espace bordé de boutiques était destiné à accueillir la foule lors des prestigieuses « premières » qui firent la gloire du cinéma et celle de son fondateur, Sid Grauman. On pouvait y voir également des décors de grande dimension qui évoquaient les nouvelles productions qui y étaient présentées.
C’est donc en 2021, un an après l’achat par Netflix, que le chantier le plus important a commencé. Il s’est agi de reprendre en totalité les extérieurs et les intérieurs, et de restituer la salle au plus près de son état d’origine. Ce qui pouvait être reproché au précédent réaménagement de la salle, c’était une curieuse installation – par les architectes Craig Hodgetts et Ming Fung – d’une salle dans la salle, réduisant son volume d’origine, en laissant toutefois une vue vers ses murs, mais à travers une structure métallique peu esthétique.
Le projet de Netflix s’appuie sur les avis éclairés de l’architecte Peyton Hall, Architecte principal émérite. Celui-ci, réputé pour ses travaux respectueux des éléments historiques et artistiques, est professeur à l’École d’architecture de l’université de Sud Californie, et dirige l’Historic Resources Group, LLC (Hollywood, CA).
Au Grauman’s, outre les restaurations des décors égyptisants, il a décidé de redonner son intégrité à la totalité du magnifique grand auditorium qui, rappelons-le, a servi de modèle à de nombreuses salles américaines du même type. On retrouve donc les murs traités façon pierre, évoquant l’architecture égyptienne, qui étaient quasi occultés dans la rénovation précédente. On remarque également que l’écran a repris sa place d’origine au fond de la scène. De chaque côté de celle-ci, quatre hautes colonnes grises, au chapiteau évasé, évoquent les quatre plus petites colonnes couvertes de hiéroglyphes qui composaient l’imposant décor d’origine disparu, à l’exception du disque solaire zénithal, lors de l’installation en 1955 d’un écran TODD-AO et en 1968 d’un écran encore plus grand aux normes D-150. La salle retrouve donc aujourd’hui des proportions au plus près de celles d’origine, et seul manque le décor supérieur de la scène, qui était également couvert de hiéroglyphes, et que l’on ne pouvait restituer vu la taille importante de l’écran actuel. À noter que le Grauman’s est l’une des quatre seules des États-Unis à pouvoir continuer à projeter des films 35 mm.
Le film inaugural du nouveau Grauman’s en ce 9 novembre 2023 est The Killer, de David Fincher. Il sera précédé d’un documentaire Netflix sur la salle, Temple of Film: 100 Years of the Egyptian Theatre, avec des interviews de Rian Johnson, Guillermo del Toro, Lynette Howell Taylor, Autumn Durald Arkapaw, et de l’architecte responsable de la rénovation, Peyton Hall.
Jean-Marcel Humbert
Pour en savoir plus, voici les liens vers les pages consacrées à « The Egyptian Theatre » du remarquable site Los Angeles Theatres : cette première page de présentation donne accès à de nombreux articles et photos (documents d’archives ou vues récentes), de l’avant-cour (forecourt) à la salle (auditorium – earlier views | auditorium – recent views ), en passant par le hall d’entrée (lobby – earlier views | lobby – recent views), la cabine de projection (projection booth), etc. On découvrira aussi les transformations de Hollywood boulevard au cours des décennies : Hollywood Blvd. 1922-1954 | Hollywood Blvd. 1955-present.
Voir aussi cet article récent du Los Angeles Times : « We take an exclusive tour of Hollywood’s restored Egyptian Theatre, opening this fall » par Glenn Whip, 30 août 2023.
Sans oublier cette video de 4 minutes qui évoque le sauvetage du Grauman’s mais propose aussi de brèves interviews (dont celle de l’architecte Peyton Hall).
Ou encore celle-ci où l’on peut même voir le rideau s’ouvrir sur l’écran…
Et aussi cette brève vidéo, sous-titrée en français.