Emmanuel Papillon, directeur du Louxor depuis sa réouverture en 2013, quitte le cinéma historique de Barbès. Les Amis du Louxor l’ont retrouvé, ainsi que l’architecte Philippe Pumain, autour d’un déjeuner amical au bar du Louxor le samedi 20 janvier 2024 pour le remercier de ces onze années à la tête d’une salle qu’il a fait revivre de si belle manière.
Près de onze ans au chevet du Louxor — des années qui auront marqué et modifié l’image du carrefour Barbès. Le 17 avril 2013, après 30 ans de fermeture et d’incertitudes, le bien nommé « Louxor-Palais du cinéma », rendu à sa splendeur originelle par l’architecte Philippe Pumain et son équipe, rouvrait ses portes et allait retrouver son public. Il n’aura pas fallu longtemps à Emmanuel Papillon pour instaurer un style bien personnel associé à une programmation qui a fait le succès du Louxor.
C’était à la fois une magnifique aventure et un défi : faire revivre un cinéma dans un quartier populaire en pleine évolution qui avait vu disparaître toutes ses salles de quartier. Le défi fut relevé et de belle manière.
« Le Louxor sera un cinéma à part entière »
Voilà qui était clair. Nous avions rencontré Emmanuel Papillon dès la fin de l’année 2012 lorsque la société CinéLouxor avait été retenue par la Ville de Paris pour exploiter le cinéma dans le cadre d’une délégation de service public. Nous avions été frappés, d’emblée, par la clarté de ses objectifs, la précision de sa vision, la conscience des difficultés qui l’attendaient mais aussi par sa confiance et son enthousiasme. Il avait à son actif sa longue expérience de directeur de salle et sa parfaite connaissance du milieu du cinéma (20 ans directeur du Jacques Tati de Tremblay en France, directeur de la section exploitation de la FEMIS), mais aussi la complémentarité de ses partenaires : Martin Bidou, exploitant et programmateur et directeur des ventes de la société Haut et Court et Carole Scotta dirigeante d’Haut et Court.
Emmanuel Papillon savait que le projet de rénovation du Louxor avait suscité une forte attente, notamment chez les habitants du quartier Barbès et avait d’ailleurs pris contact très tôt avec les associations, dont la nôtre. Mais s’il était ouvert au dialogue avec les acteurs locaux, il n’était pas question de faire du Louxor une « salle polyvalente » ouverte à des manifestations diverses et variées et à des sollicitations parfois contradictoires, ce qui aurait d’ailleurs été contraire au cahier des charges.
Il nous expliquait ainsi en janvier 2013 « Notre prétention est d’être un cinéma de quartier Art et Essai généraliste. C’est déjà beaucoup de choses ! Il faut que les gens qui veulent aller au Louxor aient l’assurance de voir des films avec des possibilités de séances conséquentes. Si le nouveau spectateur du Louxor commence à constater que, par exemple, la séance du samedi à 16 heures est supprimée, cela pose problème. La multiplication des évènements devient contradictoire avec l’identité du lieu. »
Cependant, tout en privilégiant ce « cœur d’activité », Emmanuel Papillon a tenu à proposer une offre aussi diversifiée que possible : films du patrimoine, évidemment, auquel le public cinéphile du Louxor est fidèle (rétrospectives, ciné-club, ciné-concerts sur l’écran historique de la salle égyptienne) mais aussi expositions, festivals, séances spéciales, souvent organisées avec des associations et susceptibles d’attirer un public qui ne connaissait peut-être pas le Louxor. Car l’insertion du Louxor dans le quartier, les liens avec les autres institutions culturelles déjà présentes, tout cela était une condition indispensable à la réussite du projet. Sans oublier la part très importante qu’il a accordée au travail avec les jeunes publics et les scolaires (élèves et enseignants). Il a su s’entourer pour cela d’une solide équipe, qui partage ses projets et soit capable de répondre aux défis quotidiens.
Le subtil dosage entre séances Art et Essai régulières et séances spéciales a requis évidemment un professionnalisme rigoureux mais aussi beaucoup de souplesse et de pragmatisme. Savoir équilibrer, évaluer rapidement ce qu’il faut conserver ou adapter, ne pas s’interdire les innovations, ou expérimentations (programmes cours en réalité virtuelle dans le salon du 2e étage, cours de tango, retransmission d’opéras.)… Tout cela Emmanuel Papillon l’a pleinement réussi.
Pour autant, et même pendant les périodes les plus fastes — en avril 2015, le Louxor avait déjà attiré plus de 500 000 spectateurs et franchi en 2017 la barre du million d’entrées —, Emmanuel n’a jamais crié victoire et nous a expliqué à maintes reprises que le succès de fréquentation ne suffit pas à assurer la réussite financière ! Très bon pédagogue, il savait décrire aux non-initiés que nous étions les problèmes très concrets (entretien, sécurité, chauffage, etc.) auxquels il devait répondre. Et encore, il ne se doutait pas à l’époque qu’il faudrait bientôt surmonter (comme toutes les salles de spectacles) la longue parenthèse du confinement de la période Covid avant que les spectateurs reprennent peu à peu le chemin des salles…
Saluons enfin son dynamisme et son engagement : toujours sur le pont, sa haute stature était vite devenue familière aux habitués du Louxor. On le trouvait aussi bien affairé à régler des problèmes techniques que présent dans le hall pour accueillir les célébrités les soirs de première ou tout simplement pour assurer le contrôle des billets au côté de son équipe en cas d’affluence.
Très conscient qu’il ne dirigeait pas un cinéma banal mais une salle historique à l’architecture exceptionnelle, il n’a pas ménagé sa peine pour mettre cet atout en valeur, ne rechignant pas à donner de son temps pour accueillir dans la salle Youssef Chahine des groupes de lycéens ou d’étudiants. Combien de fois au cours de ces dix années aura-t-il aussi coiffé la casquette du guide pour faire visiter « son » cinéma ? De même, il s’est toujours efforcé d’autoriser les visites (entre autres celles assurées par Jean-Marcel Humbert) en veillant à ne pas affecter l’organisation des séances de cinéma.
Nous avons établi avec lui au cours de ces onze années des relations de confiance amicales et cinéphiliques qui auront beaucoup compté dans l’histoire de notre association des Amis du Louxor. Nous avons pu apprécier son intérêt pour l’engagement de notre association et notre travail de recherche sur l’histoire du cinéma, de son patrimoine architectural, ou de sa programmation au fil des décennies. Nous avons été heureux qu’il nous ait sollicités pour apporter ponctuellement notre contribution, en éditant des brochures de présentation historique et architecturale du cinéma et en proposant une exposition pour les 5 ans d’ouverture du Louxor — exposition dont les panneaux conservés au Louxor sont remis en place en fonction des besoins.
Nous sommes sûrs qu’une part de son cœur restera attachée à cette salle et lui adressons tous nos vœux pour profiter d’une heureuse retraite, ou plutôt, connaissant son dynamisme, pour entamer une seconde vie dont le cinéma ne saurait être absent !
Nos vœux accompagnent également Manon Desseauve, qui va lui succéder et connaît déjà bien l’histoire de cette salle. Nous continuerons bien sûr autant qu’elle le souhaitera à mettre les ressources de notre association à sa disposition.
Jean-Marcel Humbert et Annie Musitelli
© Les Amis du Louxor
Rappel de quelques entretiens avec Emmanuel Papillon
– Interview de janvier 2013
– L’Art et essai plébiscité à Barbès (mai 2014, bilan de la première année d’activité))
– La réalité virtuelle au Louxor (avril 2017)
– Interview 20 janvier 2020 : bilan et perspectives
– Le Louxor, première semaine de déconfinement (interview 29 juin 2020)