Passant devant le Louxor et levant une fois de plus la tête pour admirer cette architecture dont on ne se lasse pas, je remarque des intrus qui se sont invités depuis quelque temps, mais certainement récemment vu leur bon état : des figures égyptiennes au pochoir (une croix ansée, un des cartouches de la titulature royale de Toutankhamon, et un œil oudjat) et deux momies dans des positions acrobatiques au-dessus de la plaque de rue du boulevard de La Chapelle, à l’angle avec le boulevard de Magenta. Ces deux momies, l’une en bandelettes blanches, l’autre en bandelettes bleues et or, effectuent des figures de gymnastique qui sont la marque de fabrique de l’artiste qui signe ses œuvres « MARIENELLY-STREETART ».
Les graffitis sont aussi vieux que l’homme, puisqu’on en trouve dans les cavernes, mais le « Street Art » (art dans la rue) serait né à Philadelphie dans les années 60, sous l’appellation de « Graffiti writing », où deux graffeurs, Cornbread et Cool Earl, présentent leur art sur les murs de la ville. Le phénomène s’internationalise rapidement, et des espaces sont même mis à disposition, comme le tunnel des Tuileries. Le Street art comprend les techniques les plus variées, graphes, tags, collages, y compris les dessins reproduits au pochoir. Henri Maître, sur la partie de son beau site consacrée à l’art de la rue, précise : « Des fresques monumentales que l’on visite aux insertions discrètes que le passant ignore le plus souvent, des affichages ordonnés et coordonnés aux détournements opportunistes, toute émergence dans la vie citadine d’une poétique spontanée, fragile et inattendue est la bienvenue. » On mesure la difficulté de regrouper la superbe collection de photographies qui se trouve sur ce site : « Regrouper les traces d’une même patte est un jeu de piste urbain des plus difficiles. La trace est souvent éphémère, les maquillages fréquents, les inspirations croisées et les copies (emprunts, pillages ?) sont nombreux. Certes les territoires et espaces d’influence de l’un ou de l’autre des artistes sont assez nettement circonscrits et leurs œuvres sont souvent datées, mais on n’est pas à l’abri de voir surgir des productions nouvelles en des quartiers improbables ou resurgir des pinceaux que l’on croyait rangés des voitures. Et finalement, cette attribution de paternité sur la seule foi d’un style qui nous semble évident s’expose à des confusions que les auteurs ne nous pardonneront pas. »
On trouve, sur le site d’Henri Maître, une « galerie des auteurs » où l’on ne dénombre pas moins de 151 artistes de Street art (mise à jour du 21 juillet 2024), aux noms souvent imagés voire farfelus (Squelettes, Anna Conda, Kusek, Copycat, La Dactylo, c215 ou Jef Aerosol).
Parmi eux, sous l’appellation « MARIENELLY, gymnastique murale en technicolor », figure celui qui nous intéresse. Comme la majorité des artistes de Street Art, MarieNelly est mystérieux, et l’on ne trouve sur Internet que peu de renseignements le concernant. En revanche, on peut voir beaucoup de photos de ses œuvres sur ses comptes Instagram et Facebook, ainsi que sur le site très varié d’Henri Maître, mais cela ne nous permet pas d’en savoir plus sur l’artiste en tant qu’être humain.
Fort heureusement, un article de Roxane Faure, daté du 10 mars 2021 mais sans plus de références, nous en apprend plus sur l’homme, qui a signé en fin d’année 2020 une œuvre dans la vieille ville de Bergerac, où il a des attaches familiales. L’artiste confie : « Je remercie une fois encore la ville de Bergerac pour les compliments qu’elle m’a témoignés via sa page Facebook et je suis content de savoir que mon travail a été apprécié ». Le principe du Street art, selon Roxane Faure, « est de pouvoir offrir à l’espace public, à tout un chacun, sa création, de manière sauvage, sans passer par la lourdeur des institutions ou le jugement de soi-disant responsables artistiques qui n’ont pour la plupart aucune légitimité, aucun œil et aucun talent en la matière ».
L’artiste en dit plus dans l’article sur sa personnalité et la raison d’être de ses figurines de plâtre : « Dans toute la diversité de mes activités artistiques, le cœur de mon métier est le spectacle vivant où j’évolue entre le théâtre et le cirque. J’aime à dire que je suis un clown car c’est ce qui définit le mieux mon personnage sur scène mais aussi qui je suis dans la vie. En avril 2020 le confinement a posé chez moi une nouvelle recherche créative. Me sentant soudainement prisonnier, muselé et privé de moyen d’expression, je suis revenu à mes fondamentaux. La contorsion est à mes yeux l’expression de la grâce absolue. Savoir regarder le monde la tête à l’envers appartient à l’héritage progressiste et tolérant des Lumières ».
Roxane Faure continue son interview en posant la question que tout le monde attend : pourquoi MarieNelly ? « En fait marienelly vient du nom donné à cette figure de contorsion aussi appelée “équilibre de bouche”, c’est la posture ultime de la contorsion où tout le poids du corps est supporté par la bouche alors que le fessier est posé sur la tête. Ces petites figurines s’appellent Marie Nelly car elles symbolisent la quête de l’artiste. » Celui-ci précise, en tête de son compte Instagram (@marienelly_streetart) : « Mes contorsionnistes sont comme des diamants semés sur les plaques de rues pour rendre vos destinations plus légères ».
MarieNelly vit à Paris depuis le début des années 2000, et c’est là que l’on trouve la majorité de ses œuvres, au nombre de plusieurs centaines, dont quelques-unes « à l’égyptienne », sans qu’il y ait aucun lien (à part pour le Louxor), avec le support. La grammaire égyptienne de l’artiste est relativement simple, et l’on note, outre ceux du Louxor déjà cités, des motifs bien représentatifs de l’Antiquité égyptienne et de l’égyptomanie, pour ne pas dire des icônes : Anubis, bouquet de papyrus, scarabées et scarabées ailés, et colonnes de hiéroglyphes. Alors pourquoi l’Égypte ? Éternelle question à laquelle seule une rencontre avec l’artiste permettrait de répondre. Peut-être la mise en ligne de cet article permettra-t-elle de créer le contact et de répondre à cette question ?
Reste l’éternelle question de la marque laissée par le Street art sur les monuments historiques : le Louxor est un bâtiment classé, et fragile : le granito des murs extérieurs, qui a été totalement restauré en 2012-2013, est difficile à entretenir, et il n’est pas sûr que la peinture utilisée pour les figures au pochoir ni la colle des figurines soient inoffensives. Mais cela aussi fait partie des choix de l’artiste…
Jean-Marcel Humbert ©Les amis du Louxor
Les documents photographiques, sauf mention contraire, sont © MarieNelly-Streetart et viennent de ses sites Instagram et Facebook (Marienelly Street art), et du site d’Henri Maître.