Le Louxor : première semaine de déconfinement

Le 22 juin, comme tous les cinémas de France, le Louxor a rouvert ses portes. Emmanuel Papillon évoque cette première semaine de reprise, très en douceur…

Que s’est-il passé au Louxor pendant le confinement ?
Tout le personnel a été mis au chômage partiel. Tous en sont sortis le 22 juin et notre effectif est maintenant au complet car même si le nombre de places ou de séances est moindre, la salle est ouverte 7 jours sur 7. Tout le monde doit être à son poste.
Pendant les trois mois de fermeture, il a évidemment fallu veiller à l’entretien du bâtiment mais dans l’ensemble tout s’est bien passé même si la présence des vendeurs de cigarettes était plutôt plus importante qu’en temps normal. On ne déplore pas de dégradations, ni d’intrusion (mais j’ai quand même dû me déplacer deux ou trois fois en catastrophe pour éteindre et réarmer l’alarme qui s’était déclenchée de manière intempestive !). Nous sommes donc restés vigilants, le Louxor a été entretenu et nettoyé.
 [Signalons dans le journal Le Monde le très beau reportage photo de Sophie Garcia qui a assisté à la réouverture du Louxor et nous a autorisés à publier deux de ses photos.]

Benjamin Louis, directeur technique du cinéma Le Louxor, ouvre les grilles du lieu pour accueillir les premiers spectateurs. SOPHIE GARCIA POUR « LE MONDE »

Quelles sont les conditions de réouverture ?
Pour respecter les contraintes sanitaires, le Louxor ne remplit que la moitié de la salle et invite les spectateurs à respecter les distances, ce qui signifie que les personnes d’un même groupe peuvent s’asseoir côte à côte mais doivent laisser un fauteuil vide à côté d’eux. Comme il n’est pas question de placer un vigile pour surveiller la salle, on compte sur la responsabilité individuelle pour respecter ces consignes. Difficulté au Louxor : la préférence marquée des spectateurs pour le balcon. Même en vendant la moitié des places, le risque est que le balcon soit surchargé alors que le parterre est vide, ce qui nous oblige à réguler les montées au balcon (et à expliquer au spectateur récalcitrant qu’il aura toute la place souhaitée au parterre). Des protections en plexiglas ont été installées à la caisse et le gel hydroalcoolique est aussi de rigueur.
Les exploitants ont été un peu perturbés par les consignes parfois contradictoires et mouvantes : par exemple nous avons été obligés au dernier moment de revoir le protocole qui avait fait l’objet d’un accord avec la Fédération nationale des cinémas et semblait raisonnable. Il avait par exemple été admis que les masques seraient encouragés mais pas obligatoires puis, la veille de la réouverture, le ministre de la culture Frank Riester a annoncé sur une radio que le masque serait bel et bien obligatoire dans les espaces d’accueil et pendant les déplacements à l’intérieur du cinéma. De même le ministre ne parlait plus de laisser un fauteuil d’écart entre les spectateurs mais évoquait la distance d’un mètre, ce qui n’est pas la même chose et beaucoup plus compliqué à appliquer. Il a donc fallu en catastrophe adapter le protocole annoncé et notamment prévoir des masques pour les spectateurs qui n‘en auraient pas. C’est ainsi que le Louxor vend des masques à 1 euro.
Globalement les règles sont acceptées même si certains jouent un peu les « Parisiens râleurs » et rechignent parfois…
Il devrait y avoir de nouvelles consignes le 15 juillet. Si les boîtes de nuit sont autorisées à rouvrir, on peut espérer que la discipline sera un peu moins stricte. Nous attendons…

Photo SOPHIE GARCIA POUR « LE MONDE »

Pendant cette première semaine, avez-vous vu revenir vos spectateurs ?
Le lundi 22, jour de la réouverture, la fréquentation a été vraiment encourageante, comme si le public cinéphile « militant » venait afficher son soutien au cinéma en général et à « sa » salle de quartier en particulier. Puis – non seulement au Louxor mais à Paris dans son ensemble –, les chiffres ont baissé de manière inquiétante. Pour vous donner une idée : sur une journée normale à Paris, on a environ 110 000 entrées et jeudi dernier on en était à 10 000 entrées !
Comment l’expliquez-vous ?
Comme toujours plusieurs facteurs se conjuguent mais, outre la crainte que certains spectateurs peuvent encore éprouver, il y a le problème de l‘offre. Il n’y a actuellement aucun film américain puisque les USA se sont retirés en attendant la réouverture des salles américaines. Or on sait que les films américains représentent 70% des entrées ! Par exemple la sortie du film de Christopher Nolan, Tenet, sur laquelle comptaient les distributeurs et exploitants, a été reportée au 12 août.
La crise sanitaire modifie d’ailleurs les habitudes, les gens vont plutôt dans leur cinéma de proximité que dans les grands circuits qui gonflent habituellement les chiffres des entrées.
Nous manquons en ce moment de films porteurs parmi les films d’auteurs et les sujets sont souvent austères, même pour un public cinéphile. Les exploitants se sont engagés à reprogrammer les films dont la carrière avait été interrompue par la pandémie mais même les deux films prévus pour faire le plus d’entrées (De Gaulle et La Bonne Épouse) peinent à attirer le public. Au Louxor, nous espérons que cet été, la rétrospective Forbidden Hollywood, avec ses films des années 30, va séduire nos habitués.


Dans ce contexte, les espoirs des exploitants se reportent cet été sur la sortie du film de François Ozon qui se retrouve bien seul avec une lourde responsabilité sur les épaules. Avec l’annulation de Cannes, les sorties qui étaient prévues sont reportées en 2021. Quant aux productions en cours, elles ont été interrompues, c’est un peu la disette et il va falloir un certain temps pour que la machine reparte. Mais il nous faut des films !
Les séances spéciales et en premier lieu les avant-premières sont généralement un gros succès au Louxor.
Oui mais en ce moment les règles sanitaires les rendent impossibles ! Comment faire un débat avec les spectateurs si le micro doit être désinfecté à chaque intervention ?
La situation est donc difficile et incertaine. Le chômage partiel, les aides de l’État et de la Ville de Paris ont joué un rôle essentiel et nous avons par exemple un engagement de la Ville sur l’exonération du loyer pendant la fermeture (3,5 mois). Mais cela n’a qu’un temps. Il faut que nous retrouvions notre public. Sans spectateurs, une salle ne peut pas vivre, c’est aussi simple que cela…

Propos recueillis lundi 29 juin 2020