Dans les années 50 et 60, les héros de la mythologie et de l’Antiquité, Samson et Dalila, Spartacus, Hercule, Néron, Nefertiti ou Theodora, s’affichaient à la façade du Louxor. C’était l’âge d’or du péplum, ce genre populaire qui a enchanté des générations de spectateurs.
Les Amis du Louxor et Histoire et Vies du 10e ont demandé à Claude Aziza, spécialiste de l’Antiquité dans la fiction, de faire une conférence sur ces héros et héroïnes de péplum. Nous avons été accueillis le 18 mars 2010 dans la salle des fêtes de la mairie du 10e arrondissement.
Le péplum est un genre éminemment populaire, que le Petit Robert définit ainsi : « film historique ayant pour sujet un épisode de l’Antiquité ». Le mot lui-même (du grec peplos) désignait, tant chez les Grecs que chez les Romains, un vêtement de femme (tunique ou manteau). Ce n’est, toutefois, qu’au tout début des années 60 que le mot s’imposa pour désigner un genre cinématographique qui existait depuis 1896. Ainsi, les premiers réalisateurs de films inspirés de l’Antiquité, les Pastrone, Guazzini, Zecca, Feuillade ou, plus près de nous, Cecil B. DeMille ou Riccardo Freda faisaient des péplums sans le savoir…
Si l’Antiquité, au sens large (biblique, égyptienne, grecque, romaine, barbare ) constitue un fonds inépuisable de sujets fascinants et romanesques, c’est une Antiquité revisitée, rêvée, magnifiée, que le cinéma nous propose. Car le péplum est, avant tout, un spectacle populaire et familial, avec ses codes narratifs propres. Le récit se construit généralement autour du héros courageux qui affronte une succession d’épreuves. Grâce à sa force physique, à son habileté aux armes, à sa ruse, il accomplira sa mission et parviendra au terme de sa quête après avoir affronté mille périls : éléments déchaînés, guerriers redoutables, divinités hostiles, tyrans sanguinaires, voire un cyclope ou une armée de squelettes.
Souvent fruit des amours d’un dieu et d’un mortel, parfois élevé par des animaux (l’ours, la louve) le héros a une biographie complexe, qui s’ouvre par une enfance malheureuse, culmine dans un destin d’exception, s’achève par une mort violente, au combat, tué par un proche (Ulysse) ou victime de sa folie propre (Hercule, Ajax). Toutefois, le péplum finit généralement bien. Le héros sort vainqueur des épreuves, le Bien l’emporte et les méchants sont châtiés. Dans la grande famille des héros, certains brillent d’un éclat particulier, qu’ils appartiennent à la mythologie (Hercule, Jason, Persée, Achille, Hector, Ulysse) ou à l’histoire grecque, romaine ou égyptienne (Alexandre, César, Cléopâtre, Remus et Romulus, Hannibal, Spartacus, Néron).
Le péplum se soucie peu de coller aux sources et à la « vérité historique ». Faulkner, scénariste de Hawks pour La Terre des Pharaons fait parler Chéops comme un gentleman sudiste et le réalisateur introduit des chameaux, inconnus en Égypte à cette époque. Le péplum ne recule pas devant l’anachronisme. C’est qu’il a besoin de scènes spectaculaires, d’images frappantes : Néron contemplant Rome en flammes, Hannibal franchissant les Alpes avec ses éléphants, Salomé dansant dans ses voiles, la Mer Rouge s’ouvrant pour laisser passer Moïse et les siens, Samson écartant les colonnes du temple. Bien qu’émaillé d’anachronismes, le péplum conserve une vertu pédagogique : Charlton Heston et Kirk Douglas ont plus fait pour la popularité de grands épisodes de la Bible ou de l’Odyssée que des générations d’historiens.
Durant sa longue histoire, le péplum a connu toutes sortes d’avatars. A l’époque du muet, il s’intéressait surtout aux amours célèbres (Cupidon et Psyché, Pygmalion et Galatée). Puis, le héros antique a été mobilisé à des fins politiques et pédagogiques, en particulier en Italie pour forger une identité nationale par référence à la grandeur de la Rome antique. Le fascisme exacerbe cette tendance et le Scipion l’Africain de Carmine Gallone réalisé en 1937 après la conquête de l’Ethiopie a un air de famille avec Mussolini. D’ailleurs, les lances des Carthaginois portent les étoiles et les croissants éthiopiens.
C’est dans les années 50, dans le monde de l’après-guerre, avide de divertissement, que les héros émergent véritablement. Les Ulysse, Jason, Persée, Hercule, supplantent alors Tarzan, trop identifié à l’ère coloniale, comme héros populaires. Le péplum magnifie les corps, la musculature impressionnante, mais aseptisée d’acteurs comme Steve Reeves, le « Monsieur Univers » de 1950, et Gordon Scott, qui passe de Tarzan au péplum.
Quant aux femmes, le péplum les peint en guerrières et en séductrices. Dans la première catégorie, certaines ont un comportement masculin, telles les Amazones que les héros (Thésée) devront combattre … et aimer. Il existe d’autres reines guerrières, comme Zénobie ou Sémiramis. Aux séductrices, le péplum permet d’exhiber des tenues affriolantes : (Antinéa, Hélène, Circé, Omphale, Cléopâtre) ou de les montrer au bain. Le péplum aime les brunes ; rarement les rousses (la Messaline des Gladiateurs incarnée par Susan Hayward) ; presque jamais les blondes (quelques exceptions cependant comme Anita Ekberg, blonde Zenobie, reine de Palmyre dans Sous le signe de Rome).
La Bible aussi fournit son lot de troublantes héroïnes, de Dalila (Hedi Lamarr dans le Samson et Dalila de Cecil B. DeMille en 1948) à Bethsabée ou Esther. Mais en règle générale, le péplum, genre populaire, visible en famille, est chaste en dépit de ses héroïnes lascives. S’il peut émoustiller le spectateur ou la spectatrice, la pudeur y est de rigueur.
A partir de 1965, ces représentations dégénèrent et le mythe s’effrite. Pour se renouveler, le péplum flirte avec d’autres genres : l’horreur (Thésée dans le Labyrinthe) la science fiction, voire le porno. Il y perdra son identité.
Au début du XXIe siècle, l’Antiquité semble retrouver son attrait grâce aux effets spéciaux : Gladiator en 2000, Troie en 2004. Les grandes stars ne rechignent pas à devenir héros de péplum. Sans oublier le succès considérable de la série Rome.
Claude Aziza termine sa conférence par la projection de quelques extraits d’une quinzaine de péplums célèbres, des Dix Commandements à Quo Vadis et Astérix et Cléopâtre.
Pour en savoir davantage sur le péplum :
Le péplum : L’Antiquité au cinéma, sous la direction de Claude Aziza, ed. CinémAction, n° 89, 4e trimestre 1998
Claude Aziza, Le péplum, un mauvais genre, Klincksiek, 2009
Laurent Aknin, Le péplum, Armand Colin, 2009
Hervé Dumont, L’Antiquité au cinéma, Nouveau Monde, 2009
Site Internet : Péplum, Images de l’Antiquité