L’actualité égyptologique du Louxor n’est jamais ni morose ni ennuyeuse mais porte au contraire plus souvent à sourire. En effet, il n’est pas de jour où une perle ne soit publiée par tel ou tel média, et, par Isis et Osiris, il ne sera pas dit que le pharaon Toutenkino Ier (31e Dynastie), en son Palais du Cinéma, laissera faire sans rien dire.
Chers amis du Louxor, je songeais à aiguiser mon calame pour entamer ma toute nouvelle chronique, mais j’ai pensé qu’il serait plus simple – et moins fatigant – de la dicter au scribe de service. Après tout, il est là pour ça. Je voudrais vous parler aujourd’hui de la délicate question du décor intérieur de mon Palais. On connaît déjà pas mal de choses sur la question (1), mais un très intéressant article de Yan B[ernard]. Dyl, publié le 29 octobre 1921 dans Le Courrier cinématographique (2), permet de mesurer à quel point il faut être prudent en analysant des commentaires peu scientifiques d’un reporter non spécialiste du sujet.
Des couleurs délicates
En tous cas, je note avec satisfaction que ce monsieur prend plaisir à contempler mon Palais, qu’il qualifie « d’adaptation séduisante », et dont il vente à l’intérieur la discrète décoration. L’article souligne que « la sobriété des lignes et de la couleur en est heureuse et plaisante. », et que l’écran est entouré d’un « polychromisme délicat. » Et de conclure : « Voici, en résumé, un effort décoratif particulièrement intéressant, en ce qu’il cherche dans une note curieuse et délicate à traiter, à s’inspirer des nécessités du spectacle visuel… »
Une égyptologie approximative
Pour le reste, il aligne des mots qui font surtout penser au contenu insipide et pédant d’un dossier de presse qu’il resterait à retrouver : on frôle le charabia, en un temps où l’égyptologie avait largement dépassé ce stade : des « figures de bronze, inspirées du Sanaousrit de Karnak, soutiennent la frise supérieure composée dans le mode thébain. Des hommes à têtes d’animaux présentés de profil s’y suivent sur un même plan horizontal ainsi que sur les figures murales de Karnak et d’Abydos et dans les sépultures monumentales ou mastabas de l’époque memphitique. » Il parle ensuite de « colonnes lotiformes peintes, de structure un peu grêle pour le module classique. » Le temple de Konsou (sic), déjà cité à propos des oriflammes extérieurs, aurait donné leur forme aux deux portes latérales, de part et d’autre de l’écran. A cela s’ajoute une avalanche de termes génériques et imprécis employés en ce début de siècle dès que l’on voulait paraître un peu savant dans le domaine égyptologique : « éléments inspirés de Karnak, plafond au dessin d’époque ptolémaïque, ou motif ornemental du vautour aux ailes déployées de Nekhabit et d’Ouazit. »
Des indications inexploitables
En fait, cet article ne nous apprend rien. Là où existent des photographies précises, il se contente d’une description incertaine. Et là où existent les couleurs d’époque retrouvées par les restaurateurs lorsqu’ils ont dégagé les peintures d’origine, ou lorsque des sondages les ont révélées, l’article ne donne qu’une impression générale dans un domaine où jamais une description écrite n’a pu qualifier des couleurs au point qu’on sache les restituer exactement. Il ne faut donc pas chercher dans cet article des solutions aux questions d’archéologie des années 1920 que nous nous posons.
Mais non seulement cet article ne nous apprend rien, mais il contribue à brouiller ce que nous savons. Ainsi, il parle d’« hommes à têtes d’animaux » à propos de la procession des Égyptiennes pourtant parfaitement dessinée. Et puis il confond les vautours aux ailes déployées (à angle droit) présents à gauche et à droite au-dessus de l’écran et aux plafonniers, avec le disque ailé visible au-dessus de l’écran, aux balcons et sur le dossier des sièges. Seule nouveauté, il mentionne un rideau peint qu’il ne goûte guère, et sur lequel nous reviendrons dans une prochaine chronique.
Hypothèses et propositions scientifiques
En revanche, si au lieu de partir de ce texte, on se pose la question fondamentale, tel que cela a été fait lors du tout récent colloque Prisse d’Avennes (3) : « quelles sources iconographiques le décorateur Amédée Tibérti a-t-il pu utiliser ? », on peut espérer arriver à des réponses plus précises. En effet, même si la Description de l’Égypte, ou Les Monuments d’Égypte et de la Nubie de Champollion ont été utilisés, il est logique que le fameux Atlas de Prisse d’Avennes, beaucoup plus récent (1858-1879) et aux couleurs pastel unanimement louées ait également été consulté – et copié.
Nous aurons l’occasion, dans de prochaines rubriques, de revenir sur les thèmes d’inspiration et les sources égyptologiques du Louxor. Mais pour terminer aujourd’hui, parlons des fameuses têtes bronzées, déjà citées dans l’inventaire avant travaux du 2 octobre 1931. Nous continuons de mener les recherches, mais une chose est certaine : il ne peut s’agir de la tête coiffée du pschent, la double couronne pharaonique de la haute et de la basse Égypte tel que peut le laisser croire cet article en parlant du « Sanaousrit de Karnak ». En effet, la photographie très agrandie de la seule tête qui, jusqu’à présent nous soit parvenue, montre sans aucune contestation possible que cette dernière est coiffée de la couronne atef (portée par différents dieux et par le pharaon lors de certaines fêtes), sans les plumes de Maat.
La seule tête du décor intérieur du Louxor connue jusqu’à présent est surmontée de la couronne atef s’évasant en haut pour porter le fruit de l’arbre ished remplaçant à l’époque ramesside le disque solaire, cornes de bélier, barbe postiche (détail très fortement grossi d’une photographie publiée dans La Construction moderne du 25 décembre 1921).
Et la source évidente de cette tête est le temple de Médinet Habou. Mais se pose une question fondamentale : cette tête est-elle un modèle unique répété à travers la salle, ou bien a-t-elle été tronquée pour lui permettre de tenir dans l’angle étroit où elle se trouve coincée, ce qui justifierait que « tout ce qui dépassait » ait été retiré. Première hypothèse, on pourrait donc envisager un modèle très basique et au demeurant insatisfaisant, car trop étroit pour la largeur des piliers, emprunté à la Description de l’Égypte.
Mais si, comme je le disais plus haut et comme je le pense, la source est Prisse d’Avennes déjà utilisé pour les piliers reproduits au pochoir, on peut également tout à fait imaginer des têtes décorées de la plus grande partie de leurs attributs, y compris du némès, qui alors s’intègrent mieux sur la largeur des pilastres de la salle, exactement comme sur les pilastres de Médinet Habou, et correspondent de plus aux traces découvertes lors de la campagne de mise au jour du décor d’origine du Louxor.
Continuons donc à travailler sur la question en collaboration avec des équipes scientifiques et bien sûr avec l’architecte Philippe Pumain auquel reviendra, en dernier ressort, de décider de la solution à la fois la plus logique et la plus esthétique.
Je m’arrête là pour aujourd’hui, car mon scribe donne des signes évidents de fatigue.
Toutenkino Ier, pcc. Jean-Marcel Humbert
© Les Amis du Louxor
(1) Le Louxor en 1931 : visite guidée
(2) Le Courrier cinématographique, 29 octobre 1921, n° 44, p. 33-34
(3) Communication de Jean-Marcel Humbert, « Fortune égyptisante des travaux de Prisse d’Avennes » au colloque L’Égypte d’Émile Prisse d’Avennes, jeudi 31 mars 2011, Paris-Institut national d’histoire de l’art (à paraître).
(4) Histoire de l’art égyptien, Atlas, Paris, 1858-1879, planche I-19, colonnette en bois.
(5) 1809-1829, Antiquités, volume II, planche 7.
(6) Histoire de l’art égyptien, Atlas, Paris, 1858-1879, planche I-44, piliers cariatides (sic) du temple de Ramsès III à Médineh-Thabou (sic).