On sait que le Louxor possédait un rideau de scène, dont on n’a pas retrouvé jusqu’à présent de reproduction ni d’esquisse. C’est dommage car ce rideau devait être tout particulièrement intéressant. Les cinémas étant en filiation directe avec les théâtres traditionnels, il n’est guère étonnant qu’à leurs débuts on les ait ainsi équipés. La quasi totalité des cinémas à l’égyptienne à travers le monde avaient un tel rideau décoré dans le style dominant, dont quelques uns existent encore aujourd’hui en Amérique du Nord. Il s’agit d’une épaisse toile peinte, du type de celles constituant des décors de théâtre pour les représentations des innombrables Aïda, Cléopâtre, Thaïs ou autres « pharaonneries ». Donc, une toile grossière, un peu du genre de celles utilisées pour les panoramas, non faite pour être vue de près, mais destinée simplement à donner une impression générale. Placée derrière l’habituel épais rideau de velours rouge, elle constituait ainsi véritablement un décor supplémentaire complétant celui de la salle de cinéma.
La tradition des rideaux de scène peints est relativement ancienne et remonte au moins au XVIIIe siècle. On pouvait en voir un exemple intéressant peint par Annibale Gatti à l’Opéra du Caire, qui représentait les ruines du temple de Louxor, animées de personnages antiques bien peu égyptiens…
L’Opéra du Caire fut construit à la mode occidentale par le khédive Ismaïl Pacha pour l’inauguration du canal de Suez, le 17 novembre 1869. Aïda, œuvre commandée spécialement pour l’inauguration de cette nouvelle salle n’ayant pu être composée à temps, c’est avec Rigoletto que l’Opéra fut inauguré le 1er novembre 1869 ; Aïda ne fut créé que le 24 décembre 1871. Le théâtre disparut malheureusement dans un incendie, avec tous les décors et archives, le 28 octobre 1971.
Le premier cinéma à avoir un rideau à l’égyptienne est le Grauman’s Egyptian Theatre d’Hollywood, deuxième cinéma égyptien des États-Unis, construit par Sid Grauman en 1922 (l’inauguration eut lieu le 18 octobre 1922, quelque quinze jours avant la découverte de la tombe de Toutankhamon).
Le rideau de scène, dont on ignore l’auteur, représente un amas de ruines copié très exactement sur la gravure de David Roberts représentant les ruines du temple de Kom Ombo. Ce rideau n’a pas été conservé.
L’Empress Theatre de Montréal (1927) est encore debout, bien qu’en triste état et quasi abandonné. Il n’a pas non plus conservé son rideau dû à Emmanuel Briffa. Il s’agissait, dans un cadre de scène typique des cinémas égyptisants nord-américains, de donner une impression d’ouverture et de profondeur, grâce à un effet de perspective. Le pseudo-temple représenté, qui fait penser à certains décors d’opéra du XIXe siècle, est bien évidemment totalement imaginaire, et ne se réfère à rien d’existant ni de précis.
Les deux exemples suivants existent encore aujourd’hui, et sont toujours en fonction dans deux salles restaurées. Le Peery’s Egyptian Theater d’Ogden (Utah) fut construit en 1924 : on peut dire de ce fait qu’il est le premier véritablement issu de la découverte de la tombe de Toutankhamon. Il a bénéficié en 1997 d’une restauration patrimoniale particulièrement soignée.
Son rideau de scène présente un curieux mélange des colosses de Memnon et du temple d’Abou-Simbel. Mais, avec son vaste ciel tout aussi curieusement nuageux, il offre une perspective ouverte et claire beaucoup plus heureuse que les autres rideaux que nous présentons ici, tous obscurcis par des temples pharaoniques.
Enfin, l’Egyptian Theatre de DeKalb (Illinois) ouvrit en 1929, et fut construit avec une décoration (notamment sur la façade recouverte de terres cuites vernissées) rappelant le pharaon Ramsès II. L’intérieur a été décoré par John Halama qui fit des recherches importantes pour que son travail se rapproche du domaine égyptien antique.
Pourtant, son rideau de scène montre un mélange assez curieux de colonnades, d’un portique, de statues et de sphinx. Renan Pollès, lorsqu’il réalisa son film Egyptomania (1), est allé à DeKalb tourner à l’intérieur de ce célèbre cinéma toujours en activité, et l’on peut voir dans son film le rideau peint d’origine, avec ses ruines antiques, se lever sur les images d’un péplum égyptisant.
Ces cinq exemples de rideaux de scène ne peuvent pas nous renseigner avec précision sur celui du Louxor, mais il donnent une idée de ce qu’il pouvait être. On doit donc se contenter de la description – plutôt négative – donnée par Yan B[ernard] Dyl (2) de ce rideau « où prétend s’évoquer le portique ruiné du temple de Louxor ; outre qu’il est d’un coloris que nous avons assez vu à l’Opéra Comique et ailleurs pour en être écœuré, il nous montre au bord du Nil d’étranges collines qui laissent un peu rêveur. » On note au passage que l’auteur semble tout ignorer de la montagne memphite ou thébaine derrière laquelle le soleil tombe brutalement le soir, entraînant notre crainte ancestrale de ne pas le voir se lever à nouveau le lendemain. Quant aux couleurs de type « Opéra Comique », on peut imaginer des tons dans les roses, les jaunes et les bleus ciel, tels qu’ils sont encore visibles dans cette salle aujourd’hui.
© Jean-Marcel Humbert /Les Amis du Louxor
Crédits photographiques © salles concernées
(2) Egyptomania, un film de Renan Pollès, 1994, VHS diffusion RMN.
(2) Yan B[ernard] Dyl, Le Courrier cinématographique, 29 octobre 1921, n° 44, p. 33-34.