Entretien avec Christian Laporte, architecte du patrimoine
Après nous avoir expliqué le travail de restauration des murs et des mosaïques, Christian Laporte nous parle ici des interventions sur d’autres éléments qui permettront de restituer au Louxor son lustre d’antan.
II. Mâts, ferronneries, menuiseries, vitraux, marquise, toitures
Les façades étaient ornées de quatre mâts « égyptiens » (deux sur chaque façade latérale). Les a-t-on retrouvés ?
Non ; les mâts, qui faisaient seize mètres de hauteur, ont d’ailleurs été coupés au niveau de la toiture à une certaine époque. Ils ont déjà été arasés sur les photos de 1930, peut-être à cause de leur prise au vent. Ils ont perduré longtemps dans cet état-là.–
Nous allons les restituer. On sait qu’ils étaient en bois, sans doute de la même essence que celle dont les Égyptiens se servaient pour orner les pylônes de leurs temples, le cèdre du Liban. Pourquoi le cèdre ? C’est un bois léger (et vous imaginez la charge qui repose sur les colliers de fixation!) et d’une grande durabilité. Mais on ne peut plus en trouver, surtout d’une pareille hauteur. Nous étudions une alternative, soit avec du cèdre rouge, soit du mélèze, qui a à peu près les mêmes caractéristiques physiques et à peu près le même aspect. La seule question est de trouver un tronc (ou plutôt quatre) de seize mètres de long !
Si c’est impossible, nous verrons si nous pouvons les reconstituer avec le principe du lamellé collé (imaginez des portions de camembert assemblées entre elles par de la colle et un traitement de surface qui fait que l’on ne voit pas la différence).
(Les nouveaux mâts ont été réalisés par le Chantier Naval Bernard de Saint-Vaast-la-Hougue. NDLR)
Comment vont-ils tenir ?
Il y avait trois colliers de maintien par mât, dont aucun ne subsiste et qu’il va falloir refaire. On a prévu un dispositif subtil, grâce auquel le fût viendra se mettre à l’intérieur d’un demi-collier fixé dans le mur. Il sera engravé sur la hauteur du collier pour que celui-ci vienne mordre dans le bois. Et on viendra refermer l’attache par la pose des demi-colliers extérieurs avec un système de fenêtre de fixation invisible. Nous pensons que le système était le même au départ car il n’y a pas d’autre solution pour mettre en place et faire tenir les mâts.
En revanche, si les colliers ont disparu, on a retrouvé les dispositifs d’ancrage des fers en attente qui tenaient l’ancien collier d’origine. Et on a aussi retrouvé des traces de l’entaille qui avait été faite dans la corniche sur la moitié de leur section pour aider à les maintenir en partie haute.
Vous allez restaurer aussi les ferronneries, par exemple les disques ailés au dessus des portes ?
Bien sûr. Et il n’y a pas trop d’inconnu :
– Les trois grilles d’imposte sont en place, aucune n’a disparu, c’est une chance. C’était de la belle qualité, de la fonte grise.
– Aux entrées du porche, les grilles articulées extensibles, qui existaient dès l’origine et que l’on a retrouvées malheureusement dans un état de corrosion avancée, vont être remplacées et remises en place, en conservant le logement escamotable dans les piliers du portique. Il y avait de petits volets en laiton qui s’ouvraient quand la grille s’escamotait dans les logements latéraux, et que l’on refermait ensuite pour dissimuler la grille. Seule était donc visible une petite bande en métal qui fermait le logement dans lequel s’encastraient les grilles. Tout cela va être restauré et remis en place. La grille coulissera en partie basse sur un rail escamotable, tandis qu’une traverse formant guide sera restituée en partie supérieure. Au sol, le rail escamotable sera maintenu par un tenon encastré dans une réservation discrète, qui recevra le tenon métallique du rail inférieur, et cela uniquement quand le porche d’entrée sera fermé. Quand il sera ouvert, il n’y aura aucun obstacle, seul subsistera la traverse supérieure servant de guidage.
Les menuiseries font elles aussi l’objet d’une restauration ?
Oui. C’est un point sur lequel une inconnue demeure : les portes qui s’ouvrent au rez-de-chaussée sur le boulevard de la Chapelle et le boulevard Magenta sont peu documentées. On a retrouvé les cadres bâtis avec la couleur d’origine (rouge) mais pas les portes. A priori, il s’agit de portes en bois, les paumelles ne laissent pas de doute mais la restitution rigoureuse des parements des portes n’est pas possible. Nous remettrons, quoiqu’il en soit, des portes en bois (en chêne). Du côté du boulevard de la Chapelle, d’ailleurs, ce seront des portes factices, puisqu’elles ne s’ouvriront plus, en raison de la boîte acoustique installée à l’intérieur du bâtiment ; les seules sorties seront les issues de secours du côté Magenta et celle à l’extrémité Est du boulevard de la Chapelle. Dans le doute sur le dessin des panneaux de portes, nous allons proposer, pour la restitution de toutes ces portes, y compris les portes factices, un dessin qui ne sera pas une invention mais une homothétie de la menuiserie des volets des balcons, qui sont d’origine, dont le modèle sera transposé aux portes. Cela permettra de donner un sentiment d’unité stylistique aux menuiseries extérieures.–
Et les vitraux ?
On en connaît l’iconographie, on a pu identifier le réseau plomb, mais on ne connaît pas exactement la couleur des verres ni leur nature (granité, imprimé, avec des bulles, des fleurs comme on a vu partout dans le cinéma ?). Nous allons donc nous inspirer de ce qui se faisait ailleurs à l’époque Art déco avec ces verres un peu texturés, et essayer d’en retrouver l’esprit. Il s’agira plutôt d’une évocation que d’une restitution pure. Car nous n’avons pas tous les éléments pour les restituer scientifiquement de manière irréfutable.–
–Les vitraux vont être fabriqués par l’atelier Vitrail France (qui a restauré la Sainte Chapelle), un atelier de grande réputation pour les vitraux en France. Il est intéressant de travailler avec eux car ils ont tout un stock de vieux verres, des verres texturés imprimés. Nous pourrons donc essayer de retrouver des verres anciens qu’on ne trouve plus aujourd’hui. Il faut savoir que, pour ces verres imprimés d’autrefois, il n’y a plus aucun choix en France. Il faut aller chercher des verres américains, ou puiser dans les stocks des ateliers anciens. Quelques verres se font encore en Allemagne mais la verrerie de Saint-Just, qui nous pourvoit en verre soufflé ou en verre décoratif en France, ne fait pratiquement plus de verre texturé aujourd’hui. C’est dramatique. On va être obligé de passer par des fournisseurs extérieurs et par des stocks d’atelier. L’atelier Duchemin possède un stock important de verres anciens imprimés, mais malheureusement leur offre n’a pas été retenue lors de la consultation, notamment pour des raisons de coût.
Les menuiseries des fenêtres à vitraux seront restituées à l’identique, on sera par contre contraint de rapporter sur l’intérieur une verrière de doublage pour l’isolation thermique du bâtiment.
Pour toutes les autres menuiseries, fabriquées selon le modèle en place, on a dû incorporer un vitrage isolant et là, nous avons le même problème d’approvisionnement en verre imprimé, puisque les fenêtres étaient autrefois pourvues de verres imprimés de couleur.–
Nous avions notamment des verres granités jaunes pour la cage d’escalier côté Magenta (quelques fragments de ces verres ont été retrouvés), mais on ne trouve plus de verres granités jaunes ! Et puisqu’on n’a plus les fournitures d’autrefois, il faut trouver des astuces. Comme l’on peut, par contre, trouver du verre lisse jaune et du verre granité incolore, on a mis à profit le fait que nous devions créer un double vitrage, pour créer l’illusion : en disposant en face extérieure un verre lisse jaune, et en face intérieure le verre granité (texture à l’intérieur), par effet de superposition et de transparence, on a l’impression d’être devant un verre granité jaune.
Et la marquise ?
Elle a été minutieusement démontée et entreposée dans l’atelier du métallier, pour sa restauration. Elle est relativement bien conservée, hormis les verres dépolis en sous-face et surtout la frise en rive de la marquise, dont il ne reste rien, et que nous allons donc restituer. On voit bien la frise sur les photos mais nous ne connaissons ni la couleur ni l’épaisseur des reliefs qui l’ornaient. Ces motifs, qui représentaient des formes triangulaires, peuvent être interprétés comme une évocation de l’eau. Quoiqu’il en soit, ils seront restitués en s’inspirant des motifs de la grille d’imposte en fonte surmontant les baies du portique. Un thermo-laquage sur les tôles et les profilés permettra de restituer la polychromie probable qui devait rehausser la frise, comme l’attestent les photos anciennes.
Le résultat sera un ensemble très coloré !
En effet. Nous avons une polychromie très vive pour les mosaïques, nous aurons une polychromie relativement vive pour les vitraux, et une autre au niveau des menuiseries qui étaient toutes peintes en rouge sang de bœuf ( on a retrouvé la peinture ). Et le fond sur lequel avait été mis en place le lettrage est un enduit jeté au balai, rouge sang.
Dernière trouvaille, on a retrouvé le spectre en filigrane de l’inscription « Louxor » ( il y en avait trois ) qui se trouvait au dessus des entrées du porche, sous la marquise. Le relevé permettra de restituer exactement ces inscriptions, avec les mêmes caractères et le même espacement. Nous n’avons plus les lettres mais le négatif.–
Pouvez-vous nous rappeler le calendrier ?
Il faut livrer dans un an et il n’y a pas de temps à perdre. Nous sommes en plein travail de restauration des épidermes ; nous avons défini à peu près les protocoles de restauration du granito, de la mosaïque, de tous ces éléments.
Les toitures, inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, doivent aussi être restaurées ?
Il nous reste à définir les protocoles de restauration pour les toitures, notamment pour les épidermes en ciment (type ciment prompt), et pour les ouvrages en béton (corniche, bracons de maintien de la gorge de la corniche côté boulevard de la Chapelle, toiture centrale du « plénum technique »). Nous y travaillons actuellement avec l’entreprise, et bien que les toitures soient moins visibles depuis la rue, nous nous devons de garder l’esprit de cette architecture audacieuse en béton, avec ses enduits en ciment naturel, sans dénaturer le rendu originel des façades en élévation sur la toiture-terrasse. C’est pourquoi nous conserverons le principe de ces épidermes simples en ciment. Enfin pour la question de l’étanchéité au sol des toitures-terrasses, nous n’avons pas non plus voulu dénaturer cet ensemble, et avons opté, après bien des recherches, pour une étanchéité liquide couleur sable, dont la teinte s’harmonise avec les épidermes en ciment. C’est important pour les relevés d’étanchéité, qui sont toujours visibles en façade, et que l’on va pouvoir traiter de la sorte, avec un sablage en surface permettant de les confondre avec leur support en ciment. Ensuite par-dessus, les toitures-terrasses seront revêtus d’un béton désactivé, toujours dans l’esprit de garder une mise en œuvre en connivence avec le béton des années 20.
Propos recueillis par Nicole Jacques-Lefèvre, Jean-Marcel Humbert et Annie Musitelli
© Les Amis du Louxor
Notes :
– La photo de 1930 dont certains éléments ont été utilisés pour cet article provient de l’ouvrage de Francis Lacloche, Architectures de cinéma, Editions du Moniteur, 1983, p. 113.
– Vue du Louxor en 1921 : Catalogue Gentil et Bourdet – Site La fabrique de céramique Gentil et Bourdet