Á San Francisco, un patrimoine bien vivant
Le Festival international du film de San Francisco se termine. Au centre de ces festivités annuelles, le célèbre Castro Theatre (1922), contemporain du Louxor. Symbole de l’âge d’or du cinéma, cette salle légendaire attire toujours un large public.
Nous avons découvert le Castro Theatre un samedi de juillet 2008 : longues files d’attente au guichet. Tous ces gens se bousculent pour assister à l’une des projections du festival du film muet de San Francisco. Au programme ce jour là : Les deux timides, film de René Clair (1929), accompagné par trois jeunes musiciens talentueux. Salle pleine (1400 places !), même pour un film muet, spectateurs enthousiastes. Nous mesurons avec une certaine stupéfaction ce qu’est le Castro : un lieu à la fois mythique et parfaitement intégré à la vie culturelle de la ville.
Un palais du cinéma
Le Castro Theatre fut construit par l’architecte Timothy L. Pflueger pour les frères Nasser qui exploitaient déjà d’autres salles de spectacles dans la région de San Francisco, dont un « nickelodeon » ouvert dès 1908 à quelques pas de l’actuel Castro.
Il fut inauguré le 22 juin 1922 avec la projection du film Across the Continent : la grande star du cinéma muet Wallace Reid y incarnait un de ses rôles de prédilection, celui de coureur automobile.
Le Castro est un des rares survivants de ces salles historiques des années 20 et 30 et certainement l’un des moins altérés par les rénovations dont il fit l’objet.
Son imposante façade blanche avec ses courbes et ses moulures, la niche qui pourrait accueillir quelque statue de saint, tous ces éléments donnent au Castro un air de cathédrale mexicaine et semblent être une évocation directe de l’église de la Mission Dolores, située non loin de là. Car grandeur et magnificence étaient de rigueur pour ces palais du cinéma.
L’entrée et ses mosaïques, la belle billetterie en forme de petit kiosque, les portes de bois datent des années 20 tandis que la marquise et le néon vertical sont des ajouts typiques des années 30.
La salle est un somptueux mélange d’influences espagnole, orientale et même « renaissance italienne ». Les peintures murales, traitées en « sgraffite1 » et remarquablement sauvegardées, évoquent en trompe-l’œil des tapisseries anciennes représentant des scènes de la renaissance italienne.
Elle est éclairée par un impressionnant lustre art déco, installé à la suite d’un incendie en 1937.
À partir de l’entrée, on accède, par deux escaliers décorés de miroirs dans des cadres dorés, au balcon et à l’élégante mezzanine utilisée pour des réceptions à l’occasion de certaines projections ou d’évènements particuliers.
Sauvé de justesse par son nouvel exploitant
De 1922 jusqu’en 1976, le Castro réussit à survivre et suivit l’évolution du cinéma, du muet au parlant, puis au grand écran, au cinémascope, etc. Il projetait des films grand public dans un quartier populaire.
Mais il avait, au fil des ans, perdu de son lustre et était devenu une salle de quartier passablement défraichie. Comme tant d’autres salles « historiques », son avenir était incertain.
En 1976, l’exploitation du Castro fut reprise par Mel Novikoff (réseau des Surf Theaters) qui parvint, avec l’aide de certaine personnalités comme Harvey Milk2, à s’opposer au projet de démolition du lieu que ses propriétaires souhaitaient transformer en espace commercial : le cinéma fut classé au patrimoine historique de la ville de San Francisco en 1977 et, ainsi, protégé.
Mel Novikoff entreprit de redonner vie au Castro. Il engagea une coûteuse rénovation du cinéma. Mais il sut aussi faire preuve d’audace et d’inventivité en matière de programmation : le Castro était un lieu exceptionnel, doté d’une forte identité. L ’exploitant décida de se démarquer de l’offre habituelle des autres cinémas et se tourna vers les rétrospectives de films du répertoire et de stars, les films étrangers, les films reconnus dans les festivals, les séances spéciales en exclusivité. Bref, il sut trouver pour le Castro une programmation adaptée au style de ce lieu et à son emplacement dans un quartier en pleine évolution. Les exploitants qui succédèrent à Mel Novikoff (réseau des salles Blumenfeld) continuèrent sur cette lancée.
En juillet 2001, à l’expiration du bail, le Castro fut repris par la famille Nasser, propriétaire du lieu depuis l’origine. Le cinéma fut restauré et modernisé : sièges plus confortables au parterre, rénovation des fauteuils du balcon, agrandissement de la scène, nouvel écran, nouveau rideau, changement de moquettes.
Le son et l’éclairage furent également améliorés et la salle fut équipée de la technologie nécessaire aux normes actuelles de projection audio et vidéo.
L’orgue du Castro
Autre richesse du Castro, son orgue Wurlitzer dont les tuyaux sont visibles de part et d’autre de la scène et de l’écran.
L’orgue d’origine (Robert Morton 2/11) installé en 1922 fut, comme dans tant d’autres salles de cinéma, enlevé au début des années 60. Mais lorsque Mel Novikoff reprit la salle en 1976, il souhaita renouer avec cette tradition et installa d’abord un modeste orgue électronique doté de hauts parleurs. Puis, en 1979, la famille Taylor proposa au Castro un puissant orgue Wurlitzer.
L’installation dura 3 ans : non seulement le Wurlitzer était plus grand que l’orgue d’origine et nécessitait des adaptations du lieu, mais il fut reconstitué pièce par pièce. La console (qui date de 1925) vient d’une salle de Detroit et les tuyaux proviennent de différents orgues Wurlitzer. Les tuyaux d’orgue que l’on peut voir sur les murs ne représentent qu’une petite partie de cet énorme instrument. D’autres éléments se trouvent à l’arrière de la scène.
Le Wurlitzer est régulièrement utilisé : la console est posée sur un ascenseur qui la fait sortir de scène lors des intermèdes musicaux.
Le succès du Castro
Du festival de cinéma muet au festival du film noir ou du film gay et lesbien, des rétrospectives aux soirées spéciales, le Castro continue d’offrir une programmation variée devant des salles bien remplies. Son histoire montre qu’une salle historique, lorsqu’elle est gérée avec dynamisme et imagination, peut aujourd’hui encore attirer un large public. Ancré dans la mémoire du quartier, Le Castro sait aussi tirer parti de l’actualité en invitant par exemple Robert Redford à venir évoquer ses souvenirs à l’occasion de la restauration de la copie de Butch Cassidy et le kid ou récemment en retransmettant dans la salle du Castro la cérémonie des Oscars : la récompense de Sean Penn pour son interprétation de Harvey Milk, héros local, fut accueillie par des ovations et une grande émotion.
Annie Musitelli ©Les Amis du Louxor
Notes
1. sgraffite : (définition du Robert) procédé de décoration murale en camaïeu, par grattage d’un enduit clair sur un fond de stuc sombre
2. La vie de Harvey Milk a fait l’objet d’un documentaire The Times of Harvey Milk (1984) . Elle a été portée à l’écran en 2008 par Gus Van Sant.