Le Roi et l’Oiseau bientôt au Louxor
Jean-Pierre Pagliano, adhérent des Amis du Louxor, est historien du cinéma et critique de films d’animation. Grand spécialiste de Paul Grimault, il a publié en octobre 2012, aux éditions Belin, une véritable somme sur l’œuvre maîtresse de ce cinéaste, Le Roi et l’Oiseau. Le film va connaître début juillet une nouvelle sortie nationale dans une version numérique restaurée.
Le samedi 6 juillet, Jean-Pierre Pagliano présentera le film au Louxor à 14 heures puis signera son livre au bar à partir de 16 heures.
Le Roi et l’Oiseau est un classique du cinéma d’animation mais il a une histoire assez mouvementée. Pouvez-vous nous rappeler cette épopée ?
L’aventure de ce film occupe une bonne partie de mon livre… Je pourrais me contenter, ici, d’indiquer que son destin ressemble à celui du Louxor ! Le côté phénix : comme le « palais du cinéma » qui nous est cher, on a vu le film de Prévert et Grimault renaître, non pas de ses cendres mais de ses vestiges. Au départ, il y avait la volonté de réaliser ce qui devait être le premier dessin animé français de long métrage. Dès 1944, Paul Grimault et Jacques Prévert ont choisi d’adapter un conte d’Andersen, La Bergère et le Ramoneur, en développant considérablement l’action et le nombre de personnages, en y mêlant surtout leurs propres thèmes. Ce projet ambitieux a connu de grosses difficultés : le producteur, devant les dépassements de budget, a voulu terminer le film lui-même à la va-vite, à partir de 1950. S’en sont suivies des péripéties judiciaires, des polémiques dans la presse, et finalement des situations paradoxales : malgré une décision de justice, La Bergère et le Ramoneur est présenté au festival de Venise 1952, où il est primé. Il sort en 1953, désavoué par ses auteurs qui n’auront plus qu’un désir : refaire le film, en ne gardant qu‘une quarantaine de minutes de la version initiale. Ce sera encore une longue marche, après le rachat du négatif fin 1966 : recherche du financement, constitution d’une nouvelle équipe (avec quelques anciens, comme Gabriel Allignet et Philippe Landrot), et réalisation des nouveaux plans dans le petit atelier-studio de la rue Bobillot, qui n’a plus rien à voir avec Les Gémeaux, la société créée en 1936 par Grimault et le producteur André Sarrut. La version définitive, Le Roi et l’Oiseau, sort en 1980, auréolée du Prix Louis-Delluc, qu’aucun autre film d’animation n’a remporté. Ces dernières années, Le Roi et l’Oiseau n’était plus distribué en salles. L’actuelle sortie nationale en version numérique restaurée est donc un événement.
De La Bergère et le Ramoneur au Roi et l’Oiseau, quelle différence y a-t-il entre les scénarios ?
La trame est la même… sauf la fin, et c’est une différence essentielle ! Comme l’a dit Wojciech Kilar, le compositeur polonais de la musique du film, « Le Roi et l’Oiseau est sans doute l’un des plus beaux films qui nous parlent de la liberté ». L’épilogue du poing du Robot écrasant la cage-prison n‘a rien à voir avec celui, très conventionnel, de La Bergère et le Ramoneur.
Le personnage du petit Clown, également, est nouveau. Il n’apparaissait pas dans la première version. (Il deviendra l’interlocuteur de Paul Grimault dans son dernier film, La Table tournante, où le cinéaste lui présente ses courts métrages.) Il y a donc à la fois des innovations dans le registre poétique et dans la portée politique du Roi et l’Oiseau. En fait, cet « auto-remake » hors du commun est le tout dernier scénario de Jacques Prévert, qui est mort deux ans avant l’achèvement de sa réalisation. Son ami Paul Grimault lui a dédié le film.
Qu’est-ce qui caractérise le style de Paul Grimault ? Il peignait et dessinait ?
Paul Grimault ne se considérait pas comme un excellent animateur mais c’était un incomparable maître d’œuvre, qui avait plus qu’aucun autre le sens de l’équipe. Il savait s’entourer, détecter les talents prometteurs, et il avait une conception très précise de l’animation. « Il faut animer de l’intérieur », répétait-il à ses animateurs, qu’il considérait comme les véritables interprètes de leurs personnages. Paul était à la fois un grand coloriste, un formidable dessinateur et un metteur en scène très original. C’est lui qui peignait la plupart des décors à la gouache de ses films, et ce sont des merveilles (pensez à ses ciels, diurnes ou nocturnes, aux appartements du Roi, aux places entourées d’arcades, inspirées par Chirico). Lui qui éprouvait très fort le vertige excellait à peindre des perspectives vertigineuses… Quant à son art de la mise en scène, il a fortement influencé ceux qui sont aujourd’hui les maîtres du dessin animé, comme Laguionie en France, Takahata et Miyazaki au Japon.
On semble « redécouvrir » Paul Grimault. A quoi cela tient-il ?
La carrière de Grimault a été difficile. On faisait très peu de longs métrages image par image à son époque. De plus, il était hostile à toute concession. Il a même toujours refusé les propositions venant de studios étrangers : il avait besoin, disait-il, de travailler dans sa langue et avec ses amis. A sa mort, en 1994, il était devenu assez pessimiste sur l’avenir de l’animation en France. Heureusement, la situation s’est beaucoup améliorée ces dernières années et de nombreux réalisateurs et animateurs, formés dans les excellentes écoles françaises, peuvent s’engager dans cette carrière. L’animation est à la mode, et particulièrement le long métrage. Le Roi et l’Oiseau, lui, tout en étant très populaire, est toujours resté en dehors des modes. N’être jamais à la mode tout en étant toujours d’actualité, c’est peut-être le propre des classiques !… Même si les jeunes réalisateurs d’aujourd’hui n’ont pas connu Grimault, ils n’ont jamais perdu contact avec ses films, surtout Le Roi et l’Oiseau. De son vivant, le dessinateur-cinéaste accueillait très généreusement les jeunes dans son studio de la rue Bobillot. Aujourd’hui, il reste un exemple d’exigence, de ténacité, et surtout une source inépuisable de malice et de sagesse. On a besoin de son humanité et de celle de Prévert.
Votre ouvrage est une véritable somme. Vous travaillez depuis des années sur Paul Grimault. Y a-t-il eu de nouvelles découvertes (fonds d’archives par exemple), des témoignages importants ?
J’ai eu la chance de bien connaître Paul et de devenir son ami au fil des rencontres et du travail fait ensemble. Pour ses 80 ans, en 1985, j’ai réalisé une série d’entretiens avec lui pour France Culture et, l’année suivante, j’ai publié le premier livre qui lui ait été consacré. En 1991, il m’a fait un grand plaisir en me demandant de préfacer Traits de mémoire, son « autobiographie graphique ». On a encore fait une grande émission ensemble pour France Culture, « le Bon Plaisir de Paul Grimault », qui lui convenait parfaitement puisque c’était une émission conviviale : on invitait autour de lui ses amis Francis Lemarque, Maurice Baquet, ses anciens animateurs, etc. Et puis, bien plus tard, lorsque j’ai décidé d’écrire ce nouveau livre, Le Roi et l’Oiseau. Voyage au cœur du chef-d’œuvre de Prévert et Grimault, sa famille m’a confié toutes les archives et documents que je souhaitais. C’est ainsi que j’ai pu enrichir cet ouvrage de nombreux inédits : dessins préparatoires, notes de travail, photos de toutes sortes… D’autre part, au cours de toutes ces années, j’ai recueilli les témoignages des collaborateurs de Paul, depuis l’époque Bergère jusqu’à celle du Roi et l’Oiseau. Ainsi, avant l’analyse du film, je propose dans ce livre une exploration de son atelier, de ses méthodes, puis toute une enquête sur sa longue et étonnante réalisation, complétée par les revues de presse des deux versions du film. Celles-ci aussi réservent des surprises !
Propos recueillis par Annie Musitelli
©Jean-Pierre Pagliano/ lesamisdulouxor.fr