Du lundi 23 mai au 15 septembre 2016 : Exposition photographique
« La Goutte d’Or, grandir ensemble »
Résidence artistique de Bruno Lemesle au Collège Clemenceau
Bruno Lemesle est photographe et cinéaste. Il a notamment réalisé la collection photographique « Salut Barbès ! » et le film documentaire La Goutte d’Or, vivre ensemble. Il travaille actuellement au projet « Barbès-Méditerranée : de la Goutte d’Or vers la Corne d’Or ». En résidence au sein du collège Georges Clemenceau depuis octobre 2015, il a initié les élèves à la pratique de la photographie et du cinéma documentaire. L’exposition présentée au Louxor – et qui est consacrée exclusivement aux photographies faites par les élèves – est l’aboutissement de ce travail collectif.
Comment est né ce projet ?
Il s’inscrit dans le contexte des résidences artistiques du dispositif « L’art pour grandir » de la Ville de Paris. Il implique un partenariat entre une institution culturelle, qui dispose donc de l’expertise artistique pour monter un tel projet, un établissement scolaire, qui offre l’appui pédagogique, et un artiste, qui fait le lien entre deux « pôles » qui vivent sur des rythmes souvent très différents. Il s’agit d’articuler art et éducation à partir de ces compétences diverses, avec un objectif pédagogique exigeant.
Dans mon cas, c’est à la rentrée scolaire 2015, sur une proposition de l’Institut des Cultures d’Islam, que j’ai commencé cette collaboration avec le Collège Georges Clemenceau. Il faut souligner que ces projets sont assez longs (ici, une année scolaire) pour permettre un travail approfondi et sa restitution – en l’occurrence, sous la forme d’une seconde exposition, la première s’étant tenu à l’ICI. Le Louxor, très impliqué dans les actions en direction des publics scolaires et fréquenté par un large public, était un lieu idéal.
Une grande part de votre travail de photographe et de cinéaste tourne autour de la Goutte d’Or. C’est aussi le thème de votre projet avec les collégiens.
Oui, je suis arrivé à la Goutte d’Or au début des années 80, je m’y suis formé au contact des jeunes, c’est là que j’ai véritablement appris mon métier et, de plus en plus, je veux articuler créations personnelles et actions culturelles. Les deux me sont indispensables, les unes se nourrissent des autres par les relations qui se créent sur le terrain, la connaissance du territoire que j’ai acquise. Le fait de travailler avec des collégiens crée une relation que je souhaitais développer et le choix du collège Clemenceau collait donc parfaitement avec mon expérience.
Avec quelle classe et comment avez-vous travaillé ?
Le travail s’est fait avec un groupe de 12 élèves de la classe de 5ème B, en étroite collaboration avec leurs professeurs. Il s’est déroulé au rythme de deux rendez-vous hebdomadaires, dans le cadre du dispositif SOA (Savoir-Oral-Attitude) dont l’objectif est d’aider des collégiens dans leur expression écrite et orale du français ; il s’agit de les motiver, de les amener sur le chemin de la réussite, donc de leur donner confiance en eux. C’est primordial.
Le travail, dans votre cas, passait par la photographie et le reportage.
Je pars évidemment de ma pratique de la photographie, du cinéma documentaire, de mon expérience et aussi de l’histoire de la Goutte d’Or. Je leur ai montré mes photographies, projeté le film La Goutte d’Or insolite dont j’ai remonté des séquences spécialement pour ce travail pédagogique. Puis à partir de là, nous sommes sortis du collège pour aller dans les rues du quartier.
Comment s’est organisé le travail ?
Je les ai d’abord initiés aux termes techniques indispensables (séquence, plan d’ensemble, plongée, contre-jour etc.). Les deux heures d’atelier du mardi sont consacrées aux travaux pratiques, dans le collège ou sur le terrain. Des séances plus courtes ont lieu le jeudi pour finaliser des travaux comme l’écriture des légendes des photos. Une part importante du travail est consacré au visionnage des travaux pratiques : nous projetons sur grand écran les photos prises lors de sorties précédentes et je les leur fais analyser : qu’est-ce qui marche, qu’est-ce qui ne marche pas ? Pourquoi ? il faut comprendre, identifier la réussite, reconnaître l’erreur. C’est un vrai travail – qui peut aussi avoir des moments un peu durs : par exemple, lorsque la photo qu’on a faite est projetée sur écran devant les copains, critiquée, analysée, c’est une remise en question…
Et comment se déroulent les sorties ?
Nous les emmenons dans les rues du quartier. Mais pas seulement pour photographier ou filmer : pour découvrir des aspects du quartier qu’ils ne connaissent pas. Pour cela, je m’appuie sur Jacky Libaud, conférencier, qui a l’habitude de faire visiter la Goutte d’Or et qui leur raconte l’histoire des lieux. Je leur montre aussi des photos anciennes d’endroits qu’ils connaissent pour les rendre conscients des changements qui se sont produits.
Quels lieux vous intéressent plus particulièrement ?
Nous les emmenons dans des endroits très divers qui peuvent être originaux, surprenants : la Villa Poissonnière, le magasin de poules vivantes de la rue Myrha, les anciens lavoirs ou encore les Jardins partagés, l’ancienne usine Eiffel de la rue Myrha (devenu espace de co -working…), ce qui permet aussi de leur faire découvrir les aspects de la rénovation de la Goutte d’Or. Nous leur faisons aussi rencontrer des personnalités du quartier ou du monde associatif avec lesquels ils parlent et qu’ils photographient.
Et justement, à propos de photographie ? Leur donnez-vous des consignes strictes ?
Ils sont munis d’appareils photographiques numériques compacts et de petites caméras vidéo. Au tout début, l’approche a été intuitive et spontanée. Je leur ai donné deux ou trois rudiments pour les aider à se placer, à regarder, sentir l’instant où il faut déclencher. Et je les ai laissé photographier librement. Par la suite, les consignes se sont faites de plus en plus précises : leur apprendre la rigueur technique, préciser les exigences pour arriver à des travaux satisfaisants. En fait, il s’agit de leur apprendre à construire quelque chose. Ils ont accédé, dans une certaine mesure, par eux-mêmes, à la théorie : par exemple, en découvrant intuitivement, par leur propre observation, ce que c’est que la profondeur de champ. Plus nous avancions, plus je pensais nécessaire de passer le cap de la simple intuition pour arriver à un travail de construction conscient et réfléchi.
Comment faites-vous pour y parvenir ?
Par exemple, dans certains cas, nous leur demandons de préparer leur photo, de la décrire par écrit, d’imaginer ce qu’ils vont réaliser, de réfléchir à ce qu’ils veulent faire – en ayant en tête les points essentiels : les contraintes techniques (mise au point, luminosité), et l’intention artistique. Je veux les convaincre que sans intention, il n’y a pas de photographie. Il n’y a que de la photocopie.
Par exemple, nous les avons menés devant le mur de tags, rue Ordener, et je leur ai expliqué que je ne voulais pas d’une « copie » du mur. Ils devaient se projeter dans le cadre. Ils l’ont fait, ils ont joué avec les éléments existants, ils se sont mis en scène, c’était vraiment très bien, ils ont été très créatifs.
Les avez-vous initiés à différents types de photos ?
Oui : cela pouvait être des images prises sur le vif, des paysages, des portraits (ils se sont aussi mutuellement photographiés), des natures mortes, de l’architecture urbaine, des mises en scène. Et ils ont pratiqué le reportage vidéo et l’interview.
Comment avez-vous choisi les photos exposées au Louxor ?
La sélection s’est faite au fil des séances. L’idée était de constituer un fonds, une collection des photos que nous jugions (collectivement) valables, sur la base de critères précis : critères techniques (lumière, etc.) mais il fallait aussi que l’intention (quelle qu’elle soit) soit identifiable.
Le projet s’appelle « L’art pour grandir ».. Avez-vous l’impression, à l’issue de votre résidence, que ces jeunes collégiens « ont grandi » ? Quel bilan en tirez-vous ?
Il est clair pour moi que « l’art » au collège, ce n’est pas s’amuser dans la cour de récréation. Il doit y avoir d’emblée un niveau d’exigence fort. La photographie, ce n’est pas laisser faire le hasard, c’est le fruit de la sensibilité de l’artiste, bien entendu, mais aussi de sa réflexion, de ses connaissances. Par exemple, la géométrie, l’usage des couleurs, leur sens, leur symbolique parfois, tout cela entre en jeu. Par ailleurs, nous les avons emmenés en bibliothèque pour découvrir dans les livres de photographies, le travail des grands photographes, pour leur montrer que c’est un art avec de grands maîtres …
Je crois qu’ils ont gagné de la confiance. Ils ont déjà eu une exposition à l’ICI et ils étaient fiers de montrer leur travail à leurs amis, à leur famille. Nous sommes parvenus à les conduire vers un chemin où ils ont pu réussir par eux-mêmes.
Ensuite, ils ont dû faire un vrai travail écrit et oral, pour préparer les interviews qu’ils ont réalisées. Il fallait qu’ils préparent les questions par écrit, ensuite qu’ils sachent s’exprimer et se placer devant la caméra. Puis lorsque la vidéo est projetée, il fallait ensuite la critiquer, l’analyser.
Donc vous êtes un « résident heureux »…
C’est vrai. L’alchimie s’est faite avec les élèves et leurs professeurs. Je n’ai eu aucun problème de discipline ; au contraire j’ai trouvé chez les jeunes l’écoute, la volonté de réussir, et, je tiens à le souligner, un soin extrême pour le matériel qu’on leur avait confié. Tout a été respecté. Et surtout, les résultats sont là, dont vous verrez une partie au Louxor. Nous sommes tous très fiers.
Par ailleurs, je suis vraiment très content que ce travail des élèves rencontre un écho dans le quartier, auprès des structures associatives. Que se retrouvent autour des œuvres de ces jeunes collégiens les équipes du collège, de l’Institut des Cultures d’Islam, le cinéma Le Louxor, le fait de travailler ensemble dans une direction commune. Pour répondre à votre question, oui, je suis un « résident heureux », très ému par ce que je vis présentement.
Propos recueillis le 19 mai 2016 © Les Amis du Louxor