Avant le Louxor I : la naissance d’un quartier

Notre recherche dans les archives pour découvrir les dévolutions successives de la parcelle du Louxor offre une plongée dans l’histoire de l’urbanisation du nord-est parisien. Car aux nourrisseurs à bestiaux venus du voisinage succèdent des spéculateurs de tout poil, portés par des projets où intérêts particuliers et intérêt général se trouvent mêlés. Le terrain est nu et d’une valeur inférieure à d’autres terrains construits à Paris. Il va faire l’objet d’intenses convoitises. Avec l’aide de l’autorité municipale, ces propriétaires vont participer à la construction d’une partie de la ville. On verra s’élever des monuments, un hôpital, une église, des gares ; le terrain sera divisé en rues, en boulevards, en places, et découpé en lots pour des immeubles à loyer.

Plan de la ville de Paris divisé en 12 arrondissements et 48 quartiers, « avec tous les changements exécutés et projetés jusqu’à ce jour », par Herisson, géographe, 1834. (Gallica.fr)

La spéculation commence dans le quartier, les pouvoirs publics l’organisent

La première pierre du canal Saint-Martin voulu par Napoléon pour donner de l’eau à Paris est posée le 3 mai 1822 sous Louis XVIII. Il sera inauguré par Charles X, un an après son arrivée au pouvoir à la mort de son frère. Le canal va attirer des activités artisanales et de petites industries ainsi que des entrepôts.

Le canal Saint-Martin (site CPArama.com)

La spéculation autour d’une future urbanisation commence dans ces années-là, sous l’impulsion d’une société privée soutenue par des financiers qui, de 1822 à 1827, décide la création d’un quartier neuf sur ces vastes terrains encore déserts : ce sera le «Nouveau quartier Poissonnière». Avec la maison André et Cottier, qui avait acquis de vastes terrains sur l’ancien domaine des Lazaristes, (voir l’article La parcelle du Louxor), une nouvelle société en participation se compose des banquiers Jacques Laffitte et Moisson-Devaux, d’un agent de change, Dominique Lenoir, et de Hugues-Bernard Maret, duc de Bassano, un ancien ministre des affaires étrangères de Napoléon 1er, avec la participation de l’architecte Auguste Constantin. Le polytechnicien Gaspard Chabrol de Volvic, qui a participé à l’expédition en Égypte, nommé préfet par Napoléon 1er et toujours en exercice sous Louis XVIII, encourage l’opération par des subventions et, en 1822, donne 150 000 francs à la «Société privée du nouveau quartier Poissonnière ».

La capitale, surpeuplée au centre, continue d’accueillir en nombre des provinciaux du royaume. Afin de répondre à une forte demande en matière de logements, il faut des terrains pour construire et ils se situent en périphérie de la ville. Une intense spéculation va se développer sur la rive droite avec l’appui de l’autorité municipale et tout particulièrement du préfet Chabrol en place depuis 1812 et qui le restera jusqu’en 1830.

Les propriétaires participent eux aussi à la construction de la ville.

Dans un mémoire de décembre 1819 (1) concernant l’exécution de projets d’alignement, le préfet est conscient de leur nécessité pour embellir la ville mais en même temps de la difficulté à dégager les sommes nécessaires pour indemniser les propriétaires. C’est la raison pour laquelle il fait explicitement appel à eux pour aider l’administration. Une ordonnance royale approuve en 1822 le percement de rues et de places par des particuliers. Après délibération du conseil municipal, un avis est demandé au service de la voirie, puis le Conseil des bâtiments civils est consulté et le dossier est alors transmis par le préfet au ministre de l’intérieur qui donne ou non son approbation. Acteurs privés et publics participent ainsi à l’aménagement du territoire. Le préfet contrôle les formes de la croissance urbaine en posant ses exigences, s’assurant ainsi de la qualité des voies publiques. Dans son mémoire, le préfet écrit : « … il est certain que le défaut de proportion entre la largeur des rues et la hauteur des édifices, la multiplicité des rues étroites et non alignées ont pour effet de rendre les habitations humides et malsaines, en les privant de l’exposition au soleil et du renouvellement continuel de l’air ». La préoccupation hygiéniste est particulièrement forte dans ces années-là et Chabrol s’inquiète de la nécessaire transformation des champs et des jardins en rues : « il nous faudra créer d’autres jardins, d’autres promenades… aux quatre points principaux de l’enceinte ».

Des voies sont ouvertes, on envisage de construire une église

Rue de Laborde (future rue Chabrol)
Le 29 mai 1822, autorisation est donnée au comte Charpentier, encore propriétaire de la partie méridionale du clos Saint-Lazare, d’ouvrir une rue transversale de 12 mètres de large, qui ne portera le nom du préfet qu’en 1835 ; elle met en relation la rue du Faubourg Poissonnière et celle du Faubourg Saint-Denis. Sur le plan de Picquet en 1833, elle s’appelle encore de son premier nom, rue de Laborde.

Plan de Picquet 1833 : les rues de Laborde (Chabrol) et La Fayette sont ouvertes (Gallica.fr)

Rue La Fayette
Cette même année, une nouvelle ordonnance royale autorise la maison André et Cottier à ouvrir, sur son terrain, une rue de 20 mètres de large pour établir une communication entre la rue du Faubourg Poissonnière et celle du Faubourg Saint-Martin et prolonger la rue d’Hauteville jusqu’à la nouvelle rue, qui après la révolution de 1830, recevra le nom de La Fayette. À leur jonction, une place circulaire et harmonieuse (aujourd’hui la place Frantz Liszt), dessinée par l’architecte Achille Leclère, de 30 mètres et plus de rayon, trace un dodécagone donnant aux pleins, les façades, la même valeur qu’aux vides, les rues.
Eglise Saint-Vincent-de-Paul
Sur cette place, dans l’axe de la rue d’Hauteville, on projette de construire une église, la future église Saint-Vincent-de-Paul. L’emplacement du sanctuaire se situe sur un terrain dégagé s’élevant à environ 8 mètres au-dessus de la place. Sur cette butte naturelle, que l’on visualise parfaitement sur le plan de Jean de La Caille de 1714 (visible dans l’article La parcelle du Louxor), se situait l’ancien belvédère dépendant de la maison Saint-Lazare, alors planté de 100 pieds d’ormes, une véritable estrade pour le futur monument. La cérémonie de la première pierre se déroule en grande pompe le jour de la fête de Saint-Louis, le 15 août 1824. Puis les choses traînent en longueur. Au premier architecte Jean-Baptiste Lepère succède 20 ans plus tard son gendre, Jacques Hittorff.

Plan de l’église Saint-Vincent-de-Paul

Le système de rampes qu’il impose à son escalier monumental à trois paliers anéantit le projet subtil dessiné par Achille Leclère pour la place mais rehausse de façon spectaculaire le lieu de culte.

L’église Saint-Vincent de Paul, place Franz Liszt, Paris Xe (Carte années 60)

Des activités industrielles sont présentes à proximité

Quelques industries importantes existent maintenant dans les environs. Depuis 1806, Etienne Calla a étendu ses ateliers de construction mécanique et sa fonderie de la rue du Faubourg Poissonnière au croisement de la rue La Fayette en profitant d’un terrain de l’ancien clos Saint-Lazare cédé par la maison André et Cottier en 1824 (2). Son fils réalisera toutes les fontes de la future église. Rue du faubourg Saint-Denis se trouve l’atelier de construction mécanique qu’occupe François Cavé installé dès 1826 dans le faubourg où il va construire le premier bateau complet en tôle de fer, destiné au service des dépêches entre Calais et Douvres, le plus rapide de son temps, dit-on (3).
Depuis l’installation de l’Usine à gaz de la société Pauwels en 1821, dans laquelle le banquier Jacques Lafitte a aussi des intérêts, l’angoisse monte dans le quartier. On redoute à tout moment une catastrophe. Ce gazomètre est le plus grand, le plus volumineux, le plus impressionnant de tous les gazomètres existants. Le baron Charles Athanase de Walckenaer, chef de file des voisins en colère, rédige pétition sur pétition, en affirmant qu’une explosion est possible. Ancien élève de polytechnique, il est secrétaire général de la préfecture de la Seine, maître de requête au Conseil d’État et membre de l’Institut, sa voix est écoutée. En 1823, les ultras prennent le pouvoir, et le Conseil d’État casse l’autorisation précédemment accordée par le préfet de police et ordonne la fermeture de l’usine. Le débat est porté devant l’Académie des Sciences qui émet l’avis que, moyennant certaines précautions, le gaz n’est ni dangereux, ni insalubre, ni même incommode (4). L’usine rouvrira le 9 février 1824. Le 25 octobre 1849, l’explosion du gazomètre de la rue Richer viendra ébranler bien des certitudes.

Les opérations de voirie préalable aux constructions se poursuivent

Des difficultés financières amènent la dissolution de la Société du quartier Poissonnière en 1825. Terrains et constructions ne se vendent pas à la hauteur des attentes. Une nouvelle société, dont la nature est modifiée, se forme en septembre 1827. Ce sera une société anonyme par actions, la Société du Clos Saint-Charles, composée de quelques-uns des actionnaires de l’ancienne société et notamment son ancien directeur, le banquier Moisson-Devaux. Elle a pour objet l’exploitation et la revente des terrains de l’enclos afin de créer un nombre aussi considérable que possible de commerces et d’industries (5).
À cet effet, elle se propose d’ouvrir des communications larges et faciles pour relier le nouveau quartier aux points principaux des quartiers environnants ou prolonger des percements déjà ouverts afin de diviser le terrain en lots plus ou moins grands pour la vente. Les lots pourront être payés à long terme ou par annuités, donnés en location ou par des baux emphytéotiques qui n’exigent aucun déboursé immédiat. Les acquéreurs et les locataires pourront ainsi s’acquitter de leurs dettes sur les produits mêmes de leur industrie et de leur travail : il ne faut pas oublier que ce sont des banquiers qui tiennent les manettes. Il est dit que la Société pourra construire pour son propre compte ou pour le compte de tiers. Joseph Baron, l’entrepreneur du premier lot du pavé de Paris, est partie prenante de la nouvelle société. Un grand et vaste terrain d’une valeur de 605 000 francs, apporté à titre de mise de fond par les fondateurs, jouxte le grand terrain de Bonar (où est située la parcelle du futur Louxor).
Une ordonnance royale du 31 janvier 1827 autorise la société à ouvrir treize rues sur les terrains achetés mais à certaines conditions.

Des contraintes sont imposées aux propriétaires :

Ils doivent abandonner gratuitement le sol des nouvelles rues, supporter les premiers frais de pavage et d’éclairage, engager les premiers frais des travaux à faire pour l’écoulement souterrain ou à ciel ouvert des eaux pluviales et ménagères, établir des trottoirs en pierre dure, et tenir fermées de portes ou de grilles les portions de rues sans débouchés jusqu’à ce que les propriétaires des terrains consentent librement à livrer passage. Ces derniers doivent se conformer aux lois et règlements de la voirie de Paris. L’autorité municipale en la personne du préfet impose ses clauses. Le contrôle de la conformité de l’exécution du travail revient aux ingénieurs des Ponts et Chaussées du pavé de Paris qui en assurent la surveillance. A cette époque, les rues pavées à Paris ne sont pas nombreuses, les lampes à huile éclairent encore les rues et les trottoirs sont rares.
Pour distinguer ces rues les unes des autres, on les baptise de noms provisoires comme la rue de l’Abattoir, appelée ainsi car elle conduisait aux Abattoirs de Montmartre créés par Napoléon pour remplacer les tueries particulières et assainir Paris. Elle prendra le nom de Dunkerque en 1845, du fait de sa proximité avec la gare du Nord.

Projet d’ensemble du Nouveau quartier Poissonnière (Gallica.fr)

La nouvelle société sera dissoute comme la première et liquidée en 1836 : «  Pas plus que les terrains, on n’avait réussi à vendre des actions » (6). La crise est là et s’installe durablement, elle voit la chute de très grosses maisons comme celle du banquier Lafitte et le ralentissement des affaires jusqu’en 1848. Un désir effréné de faire fortune et une envie d’entreprendre se sont emparé des esprits : « La crise de 1826 consécutive à la fièvre autour de spéculations immobilières et commerciales a porté de nombreux spéculateurs à se lancer avec une confiance aveugle vers les opérations de toute espèce les plus hasardées »(7).

On construit un hôpital et une gare.

En 1842, une loi très importante est adoptée sur les chemins de fer qui va autoriser l’expropriation de nombreuses parcelles en vue de l’implantation de la première gare du Nord. Elle fait suite à des débats passionnés autour du conflit entre les rôles respectifs de l’État et des intérêts privés qui vont aboutir au système mixte à la française. En principe selon la loi, le matériel fixe – voies de fer, gares, stations, ateliers – doit être construit par l’État et exploité par une compagnie concessionnaire qui apporte son propre matériel roulant. Dans les faits, les compagnies concessionnaires imposeront leur conception sur l’aménagement des gares.
Les gares se situent aux limites de la ville car l’octroi est encore en vigueur et un arrêt avant l’entrée dans la ville est prévu pour contrôler les marchandises. Par ailleurs, cette implantation permet d’arriver le plus près possible du centre, sans que le bruit et la fumée des machines, considérés comme insalubres, ne nuisent aux habitants de la capitale. La proximité avec l’entrepôt de la douane, la relation avec le bassin de la Villette et le canal Saint-Martin, les voies de communications larges et importantes dont le quartier peut se vanter, justifient le choix. Et surtout les terrains du Clos Saint-Lazare, encore vides de construction, sont moins chers et ne requièrent aucune expropriation (8).

La première gare du Nord est réalisée par l’architecte-ingénieur Léonce Reynaud, attaché de 1842 à 1847 à la Compagnie des chemins de fer du Nord. Située rue des Abattoirs, en face de la rue des Magasins – la future rue Saint-Quentin – elle est inaugurée le 14 juin 1846 mais dès 1857 on envisage déjà de l’agrandir. Une partie de ce premier ensemble est conservée pour la deuxième gare du Nord, la façade sera démontée et transportée pour la gare de Lille en 1860.

Paris se dote d’un nouvel hôpital moderne. Après la mise en vente des terrains de la congrégation Saint-Lazare devenus bien public, la Ville de Paris avait acheté en 1818 au comte Charpentier, à côté des acheteurs privés évoqués dans l’article précédent, une partie du clos Saint-Lazare, en vue de construire un hôpital moderne dont les projets remontent au XVIIIe siècle (9). Le terrain est nu et d’une valeur inférieure à d’autres terrains construits à Paris. Le nouvel hôpital répond aux normes hygiénistes les plus récentes et l’absence d’établissements de charité sur la rive droite où la population ne cesse de croître, ainsi que les conséquences de l’épidémie de choléra qui a fait de nombreux morts dans la capitale en 1832, justifient son ouverture. Le conseil municipal approuve le projet (10).
Le 12 février 1846, le baron James Mayer cède à titre d’échange à la Ville de Paris 34 707 m2 de terrain à prendre dans une partie des terrains achetée à Bonar pour la construction de l’hôpital du Nord devenu à cette date Louis-Philippe (aujourd’hui Lariboisière). En contre échange, le préfet de la Seine alors en exercice, Claude Philibert Bartholot, comte de Rambuteau, au nom de la Ville de Paris, cède au baron 28 732 m2 de terrain, achetés par la Ville au général Charpentier en 1818, entre la rue du faubourg Poissonnière et celle du faubourg Saint-Denis, avec soulte au profit de la Ville suite à une délibération du conseil municipal en date du 19 décembre 1845 (11). Le préfet poursuit les transformations urbaines à visées hygiénistes de son prédécesseur, fort de sa devise : « De l’air, de l’eau, des arbres ».
L’implantation de l’hôpital va entraîner la construction de nouvelles voies et le baron s’engage à livrer gratuitement à la voie publique, selon l’usage, les portions de terrains nécessaires à l’ouverture des rues, à contribuer aux frais de pavage, à établir des trottoirs en granit, à poser des appareil d’éclairage au gaz, des conduites en fonte pour la distribution des eaux sur toute la longueur des rues et à placer des fontaines pour le lavage des ruisseaux, ainsi que des égouts nécessaires à l’assainissement du quartier.
Les travaux de l’hôpital d’après les plans de l’architecte Gauthier démarrent l’été 1846. L’hôpital aura sa grande façade au sud et sa principale entrée sur la rue des Abattoirs. Les murs de clôture sont achevés, les constructions commencent à s’élever et les grands bâtiments de la façade se dressent déjà, quand éclate la Révolution de 1848. L’hôpital en construction devint une immense citadelle où se réfugient les insurgés, protégée par des barricades formées par les arbres du boulevard extérieur. Les forces de l’ordre auront le plus grand mal à en venir à bout.

Barrière Poissonnière, poursuite des insurgés dans le Clos Saint-Lazare

L’église Saint-Vincent-de-Paul est ouverte au culte. L’inauguration solennelle a lieu le lundi 21 juin 1844 en présence de l’architecte Jacques Hittorff, du préfet de la Seine et du maire du l’arrondissement (12). En principe, ces monuments devaient devenir une source de plus-values pour le quartier en construction. Mais pour le moment, le terrain environnant est encore « veuf de toutes constructions et pas même nivelé ». Louis Lazare dans la Revue municipale s’interroge : « D’où vient que les abords de Saint-Vincent-de-Paul restent déserts ? »(13). Dans les années qui suivent, il s’afflige de la négligence de l’autorité municipale non seulement au voisinage de l’église, « entouré de buttes de terre, de cloisons de planches et de quelques masures », mais également autour du débarcadère et de l’hôpital du Nord. Ces trois grands monuments élevés dans le clos Saint-Lazare et fréquentés par de nombreuses personnes exigent, insiste-t-il, de larges débouchés. Le Clos Saint-Lazare qu’il a visité plusieurs fois et étudié avec soin « ne sert qu’aux vagabonds et aux femmes de mauvaises vies » du fait de l’abandon où il est laissé depuis de nombreuses années.
En 1854, l’hôpital du Nord, devenu Lariboisière, est inauguré, l’édifice est non seulement un modèle du point de vue de l’hygiène avec sa conception en peigne pour éviter les risques de contagion et d’infection mais aussi de l’esthétique, on va bientôt y installer des malades.

Travaux de l’Hôpital Lariboisière construit par Martin Pierre Gauthier (site du Courtauld Institute of Art)

Ces trois édifices monumentaux restent encore isolés dans l’espace public.

Mais rien ne change. L’hôpital « s’élève au milieu du clos comme un fort dans un marécage » se lamente Louis Lazare. Il est entouré de toutes parts de larges flaques d’eau croupissantes et les exhalations fétides de ce bourbier infect vont jusqu’à être préjudiciables, pense-t-il, à la santé des malades (14). A peine l’hôpital ouvert, on s’aperçoit qu’il est déjà trop petit. Le 17 novembre 1854, le conseil municipal propose de l’agrandir. Un échange de terrains est de nouveau signé entre le nouveau préfet de la Seine, Eugène Haussmann, et James de Rothschild. L’agrandissement projeté est approuvé par décret. Le baron Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870, hérite des travaux de ses prédécesseurs et les poursuit avec l’appui d’un pouvoir fort.

Les propriétaires des terrains attendent pour construire. Pendant plusieurs années, la Ville ajourna sa décision d’ouvrir des rues à travers les propriétés des particuliers pour désenclaver la zone et refusa aux propriétaires les alignements nécessaires pour bâtir, paralysant ainsi tous les projets de construction. En 1854, les propriétaires regroupés en commission demandent l’adoption d’un plan d’ensemble afin que la Ville coordonne ses travaux de viabilité. L’approche de l’exposition universelle de 1855, dont on espère beaucoup de voyageurs de toute l’Europe, accélère la décision d’agrandir la gare du Nord. Le 10 novembre 1856, un article de l’influente Revue municipale nous apprend que dans le haut du clos Saint-Lazare, les rues ne sont encore ni tracées, ni pavées. Il n’y a là, apprend-t-on, que des terrains vagues qui appartiennent presque tous au baron de Rothschild.
Cependant, le 20 octobre 1857, un décret impérial fixe l’ouverture du boulevard du Nord et à la fin de l’année, les alignements et nivellements sont définitivement arrêtés. Une nouvelle ère commence, on va enfin pouvoir construire en bordure des rues et le quartier va se modifier d’une manière perceptible, les voies sont ouvertes, le terrain a été préparé.
C’est à cette date que le baron James Mayer de Rothschild développe autour de l’hôpital Lariboisière, de la gare du Nord et dans la partie supérieure du boulevard du Nord une intense activité immobilière. Il achète, revend et commence à construire. Son action dans la transformation du quartier impressionne.

La fièvre de la construction transforme le quartier.

Paris s’agrandit, le mur des Fermiers généraux entourant la ville est démoli, le quartier au début du Second Empire se transforme en un vaste chantier. Le 13 décembre 1859, le préfet Haussmann arrête le nom de Magenta pour le boulevard du Nord reliant la place de la République aux deux gares et aux boulevards. Les travaux concernant la deuxième gare du Nord commencent en 1861 sous la direction de l’architecte Jacques Hittorff. On dit que le baron James, admirateur de l’église voisine de Saint-Vincent-de-Paul, invita l’architecte à collaborer à la nouvelle gare. Elle se construit entre 1861 et 1865.

La gare du Nord. Dessin extrait du Magasin pittoresque (collection Nicole Jacques-Lefèvre)

Après l’expropriation pour cause d’utilité publique, votée à la suite d’une délibération du conseil municipal relative à l’ouverture du boulevard de Denain, le lotissement du quartier se poursuit. Le préfet de la Seine, Eugène Haussmann, impose aux acheteurs des terrains de construire leur maison d’habitation selon les règles imposées par l’autorité municipale : respect des pans coupés, hauteur des immeubles, alignement des façades, construction en pierre de taille avec balcons, corniches et moulures. Les étages devront avoir au moins 2,60 m de hauteur et des galeries transversales de tailles très précises seront construites pour la conduite des eaux pluviales et ménagères en direction de l’égout principal, ainsi que des cheminées de ventilation et bien sûr, des trottoirs.
C’est sous la direction des ingénieurs du service municipal que s’effectuent les travaux de terrassement et de pavage, de pose de bordure de granit et d’empierrement. Le 25 décembre 1865, le boulevard de Denain et les rues adjacentes sont ouverts à la circulation et, le 31 décembre, le boulevard de Magenta est éclairé au gaz sur toute sa longueur.

Carrefour boulevard de Denain et boulevard de Magenta. (collection A. Musitelli)

Ainsi, on a vu s’élever en moins d’un demi-siècle des monuments, un hôpital, une église et des gares. Il faudra attendre quelques décennies pour que soit édifié, à la place d’un immeuble haussmannien, le cinéma Louxor, objet de toute notre attention et de notre attachement.

Claudie Calvarin © Lesamisdulouxor.fr

Notes
1- Ce mémoire est cité par Daubanton dans Du déplacement de la population de Paris, Carillon-Goeury, 1845.
2- Archives Nationales, Minutier des notaires : MC/ET/XLVII/672
3- Archives Nationales, Minutier des notaires : MC/ET/LXXX/126
4- Jean-Baptiste Fressoz, Gaz, gazomètres, expertises et controverses, Londres-Paris 1815-1860,  Courrier de l’environnement de l’Inra, n° 62, décembre 2012
5- Archives Nationales, Minutier des notaires : MC/ET/XVIII/1143 et MC/ET/LX/686
6- Jeanne Pronteau, « Construction et aménagement des nouveaux quartiers de Paris (1820-1826) » dans Histoire des entreprises, N° 2, S.E.V.P.E.N, 1958.
7- Enquête sur la situation industrielle et commerciale du département de la Seine en 1831, cité par Adeline  Daumard dans La bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848,  S.E.V.P.E.N, 1963.
8- Polarisation du territoire et développement urbain : les gares du Nord et de l’Est et la transformation de Paris au XIXe siècle, sous la direction de Karen Bowie, A.H.I.C.F. et auteurs, Décembre 1999.
9- Archives nationales, Minutier des notaires : MC/ET/LVI/599
10- François Guérard, L’hôpital Lariboisière, L’Enclos Saint Lazare, Steinheil, Paris, 1888. Voir aussi l’article de Nicole Jacques-Lefèvre Le Quartier Barbès dans la littérature.
11- Archives de Paris : V011 737
12- Henri Doisy (Abbé), Les débuts d’une grande paroisse, Saint-Vincent-de-Paul Montholon, Rouen 1942.
13- Revue Municipale, 16 octobre 1852
14- Revue municipale, 1er janvier 1854