Le Balzac : défense et illustration de la salle de cinéma indépendante

Rencontre au Balzac avec Jean-Jacques Schpoliansky et Virginie Champion-Terreaux

À l’horizon de 2013, le Louxor s’ajoutera à la liste des cinémas parisiens. Certains n’ont pas manqué de s’interroger : les salles indépendantes des grands circuits ont-elles encore un avenir dans une ville où l’offre culturelle est déjà aussi riche ? Nous  avons souhaité demander leur avis aux premiers intéressés, les exploitants eux-mêmes, à la lumière de leur expérience personnelle d’acteurs de terrain et de militants d’un cinéma vivant et de qualité. Nous commençons par Jean-Jacques Schpoliansky, qui anime le Balzac depuis 1973. Il  nous a reçus en compagnie de Virginie Champion-Terreaux, sa  collaboratrice depuis 1994.

Pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?
Jean-Jacques Schpoliansky : J’étais « un cancre », d’abord !  Je suis bac-1… À la suite d’un accident survenu justement au moment du bac, j’ai dû garder le lit pendant un an. Ensuite, en 1965, je suis entré comme stagiaire chez UGC et j’ai petit à petit appris ce qu’était l’exploitation, puis la programmation. Car en 1967, j’ai été  chargé de la programmation en milieu universitaire. On ne parlait pas encore d’Art et Essai mais j’organisais par exemple des semaines du cinéma brésilien ou des cinémas de l’Est, etc. dans des salles situées sur les campus, comme les  cinémas  Ariel de Mont-Saint-Aignan ou de Grenoble.
En 1969, la direction d’UGC m’a confié la direction de trois salles à Tours, les Majestic, Palace et Cyrano ; j’avais 25 ans ; j’y suis resté un an. Puis j’ai été « débauché » par un  producteur, et pas des moindres, puisqu’il s’agissait de  Serge Silberman qui avait besoin d’un assistant. J’ai ainsi participé à la production de deux films,  Le charme discret de la bourgeoisie de Buñuel, et La course du lièvre à travers les champs de René Clément, et je  m’apprêtais à  travailler à un troisième (À nous les petites anglaises).
Mais mon père est décédé en 1973 et je lui ai succédé au cinéma Balzac.

Jean-Jacques Schpoliansky présente régulièrement les films aux spectateurs

Jean-Jacques Schpoliansky présente régulièrement les films aux spectateurs

Le Balzac était une entreprise familiale ?
Il a été créé par mon grand-père en 1935. C’était un cinéma de style Art-Déco. Il y avait un hall de 200 m² avec une conque marine, les bureaux de mon grand-père qui faisaient 100 m², et une salle de 630 places.
Avant la guerre, Le Balzac programmait des films américains : Frank Borzage, John Ford, tous  les films de Shirley Temple ; en majorité les grands films de la 20th Century Fox. Après la guerre, ce fut le tour du cinéma français. J’ai tous ces films en mémoire : Jour de Fête, Les Vacances de M. Hulot, La Ronde, Casque d’or, Gervaise, À  bout de souffle, Les Tontons flingueurs, etc. jusqu’à  La piscine de Jacques Deray dont Le Balzac, qui avait déjà cette pratique, avait organisé l’avant-première en présence des acteurs.
Mais  il y avait eu des bouleversements dans l’économie du cinéma, que mon père n’avait pas vus venir. En 1971, UGC, au départ une petite société d’économie mixte (État/privé), a été vendue à d’importants exploitants parisiens privés et est devenue une grosse « major ».
Dans le quartier des Champs-Élysées, avec la disparition des indépendants, mon père s’est retrouvé isolé. Lorsque j’ai repris Le Balzac en 73, j’étais donc face à  une seule salle et sans films.
Pourquoi « sans  films » ?
À partir du moment où les autres indépendants avaient disparu, on ne pouvait plus prétendre avoir le moindre film. Seul, je ne faisais pas le poids face aux grands groupes qui captaient tous les films.Je devais donc poursuivre plusieurs objectifs :
– Arrêter l’hémorragie : ne plus dépendre d’un seul film ! Pour cela, il fallait intervenir sur le cadre. J’ai  créé deux salles supplémentaires, à partir du hall et des bureaux de mon grand-père, sans perdre un mm3 du Balzac !  Avec trois salles, je pouvais augmenter le nombre et la rotation des films.

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Vie et mort des cinémas parisiens (1982-1992)

Un de nos adhérents cinéphiles nous avait signalé  au printemps dernier l’enquête photographique que Jean-François Chaput, photographe et projectionniste, avait menée à Paris entre 1982 et 1992 sur les cinémas parisiens dont on commençait à chuchoter la fermeture prochaine. Nombre de ces photos avaient fait l’objet d’une exposition en 1995, au musée de la SEITA aujourd’hui disparu. Nous avions invité Jean-François Chaput à se joindre à l’une des visites du Louxor organisées par la mission cinéma au mois de juin car cette salle figurait en bonne place parmi les cinémas qu’il avait immortalisés, et dont la plupart n’existent plus aujourd’hui. Il a photographié le Louxor à un moment « historique », le jour de  la dernière séance du 29 novembre 1983. Nous le remercions de nous autoriser à publier cette vue du Louxor qui projetait, cette semaine-là, Qaid, l’un des très nombreux films indiens programmés pendant les dernières années de son activité.

30 novembre 1983 : dernier film programmé au Louxor

29 novembre 1983 : dernier film programmé au Louxor

Jean-François Chaput nous a  parlé de cette passionnante enquête.

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Actualité du chantier : 30 novembre 2010

Comme ont pu le constater les personnes qui ont participé à la visite du chantier, le 30 novembre 2010, les travaux, engagés à la rentrée, avancent bon train. La marquise a été déposée (voir notre galerie d’images), très minutieusement, pour être restaurée avec ses pièces d’origine.

30 novembre à 17 heures : départ de la visite

30 novembre à 17 heures : départ de la visite

A l’intérieur, le spectacle est impressionnant. On se croirait dans une architecture à la Piranèse. Une trentaine d’ouvriers de l’entreprise Deleau-Laîné s’activent sur le site, parmi les bulldozers, les grues, les amoncellements de gravats à déblayer.

Vue de la salle depuis le côté écran

Vue de la salle depuis le côté écran

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Sortir à Barbès en 1921

Le 15 novembre 2010, Dominique Delord, chercheuse en histoire culturelle, a donné dans la grande salle de la mairie du XVIIIe arrondissement une conférence consacrée aux spectacles proposés aux habitants de Barbès au moment de l’ouverture du cinéma Louxor, le 6 octobre 1921. Cette conférence, qui était co-organisée par l’association des Amis du Louxor et Histoire et Vies du 10e, a réuni plus de 130 personnes. Nous remercions Daniel Vaillant, maire du 18e, Carine Rolland, adjointe à la culture, Sylvain Lamothe, chargé de mission culture, et tous les personnels pour leur accueil et l’aide qu’ils nous ont apportée.

1921 : Maurice Chevalier crée la chanson "Avec le sourire"

En 1921,  Maurice Chevalier crée la chanson « Avec le sourire »

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À la découverte du cinéma indien

Entretien avec Deva Koumarane

Dans l’article Bollywood au Louxor, Deva Koumarane nous avait donné un premier aperçu des films indiens programmés dans cette salle à partir des années 70. Nous avons souhaité en savoir davantage sur ce cinéma qui suscite depuis un siècle l’engouement du public en Inde mais est aussi  largement distribué dans le monde entier. Dans le long entretien qu’il nous a accordé, Deva Koumarane rappelle d’abord les raisons de l’émergence rapide d’un cinéma national en Inde et de  son adoption immédiate par le public, ses thèmes et caractéristiques. Il évoque ensuite l’importance de la musique et des chanteurs, l’existence de cinémas régionaux, notamment du cinéma tamoul et de ses rapports très étroits avec le monde politique. Il revient aussi plus longuement sur les films marquants qui sont passés au Louxor et les vedettes qui étaient omniprésentes dans cette programmation. Et il évoque enfin l’état du cinéma indien aujourd’hui.

Mother India, un des grands films de l'histoire du cinéma indien

À quelle date l’Inde a-t-elle découvert le cinéma ?
Dès 1896.  Le 7 juillet, deux opérateurs des frères Lumière se rendirent à Bombay et projetèrent à l’hôtel Watson, devant deux cents personnes, plusieurs films d’actualité dont L’Arrivée d’un train à La Ciotat. Le ticket était à une roupie, un prix exorbitant à l’époque, et le public était surtout composé de l’élite coloniale. Il y eut une seconde projection dans le Théâtre Novelty devant un public plus nombreux et divers dans sa composition car on avait vendu des billets à différents tarifs.
Quand voit-on émerger un cinéma national ?
Au tout début du muet, les spectateurs indiens voient des films importés des Etats-Unis et de l’Europe. Mais on assiste très vite à la naissance d’un cinéma indien. Il s’agit surtout d’abord de petits films documentaires (actualités, célébration de fêtes, etc.). Puis arrive la fiction.

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