L’œil mystérieux du Louxor

« Obey, never trust your own eyes, believe what you are told ». Traduction littérale : « Obéissez, ne vous fiez pas à vos yeux, croyez ce qu’on vous dit » .

Étrange injonction sur une affiche tout aussi surprenante, placardée sur le Louxor pendant une quinzaine de jours puis retirée le 14 octobre. Quel sens donner à  cet œil énorme, noir sur fond rouge, qui  semblait veiller sur le carrefour Barbès ? Qui nous commandait l’obéissance ?

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Appel d’offres

L’installation de chantier mise en place en juin dernier a été déposée. Les travaux de désamiantage programmés ont été effectués et il n’y a désormais plus d’amiante dans le bâtiment.

L’appel d’offres d’entreprises ( « Passation des marchés de travaux de réhabilitation et d’extension du cinéma « Le Louxor » » ) a été publié le 26 septembre 2009.

Dans l’entretien qu’il nous avait accordé en février 2009, l’architecte Philippe Pumain expliquait : « Précisons que nous sommes en « lots séparés » : nous n’aurons pas affaire à une entreprise générale mais à une série d’entreprises, a priori une bonne vingtaine, même si certaines peuvent répondre à plusieurs lots. Tous les corps d’état seront représentés, y compris des corps d’état très spécialisés : mosaïques, vitraux ».
En effet, la consultation comprend 19 « lots » concernant aussi bien les travaux de gros œuvre, la plomberie, la zinguerie, le chauffage que la restauration de la façade, des vitraux et mosaïques ou la signalétique, l’éclairage, la sonorisation, l’équipement cinématographique, etc.
Le document précise que la remise des offres d’entreprises est fixée au 24 novembre 2009.

Comme nous l’avait indiqué l’architecte dans son interview, la date prévisionnelle de démarrage des travaux est mai 2010.

Le quartier Barbès dans la littérature

Depuis le XIXe siècle, le quartier Barbès a été fréquenté par de nombreux écrivains et artistes, et a inspiré diverses représentations. Depuis les Goncourt et Zola, il est devenu un lieu romanesque.
Dans cette nouvelle rubrique, nous nous efforcerons, afin de réinscrire le Louxor dans son contexte, de réunir les textes et images les plus représentatifs de cet intérêt de la littérature et des beaux-arts pour ce quartier, ses habitants, ses bâtiments et ses rues.

Aujourd’hui, l’Hôpital Lariboisière.

L’hôpital Lariboisière dans la littérature

L’hôpital Lariboisière est né de la confrontation d’un programme utopique, celui des médecins du siècle des Lumières et des acteurs politiques de la Révolution française, avec les besoins spécifiques d’un quartier dépourvu d’équipement hospitalier. Ce programme architectural et médical, associant étroitement médecins, architectes, industriels et politiques, fut repris et repensé au XIXe siècle, et c’est entre les faubourgs Saint-Denis et Poissonnière, sur le site alors appelé « le Clos Saint-Lazare », qu’il sera construit entre 1846 et 1854, à l’épicentre des quartiers qu’il doit desservir. Axé sur la rue d’Hauteville qui s’arrête sur l’entrée principale (ce tronçon, depuis le boulevard de Magenta, est aujourd’hui la rue Saint-Vincent-de-Paul), l’hôpital est alors adossé au chemin de ronde des barrières.

Images Lariboisière vue 1

D’abord adapté, avec les moyens d’époque, aux spécificités d’une population pauvre, il est un élément fonctionnel essentiel de l’espace urbain du nord de Paris. Il a participé à son histoire, celle de sa population longtemps ouvrière, celle des épidémies (choléra, tuberculose, etc… ), celle des Révolutions (1948, Commune ), celle des guerres (1914-1918, 1940-1945 ) qui ont parfois été facteurs déterminants de son évolution. Considéré comme un modèle de construction hospitalière, tant par son architecture que par les règles d’hygiène qu’on y applique, il est néanmoins, dès les premières années de son fonctionnement, confronté aux problèmes posés par la misère. Le chroniqueur Maxime du Camp, plus connu pour ses récits de voyage ou ses Souvenirs littéraires, où il fait le portrait de nombreux écrivains, dont ses grands amis Gustave Flaubert et Théophile Gautier, s’en fait l’écho dans Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie (1869-1875 ; rééd. Monaco, Rondeau, 1993 ) :

« On a parlé de vices possibles de la construction, mais on n’a pas vu que, par le milieu même qu’il est appelé à desservir, l’hôpital Lariboisière accueille la partie la plus chétive, la plus anémique de la population de Paris. Il est forcément le réceptacle de tous les cas morbides qui viennent de Clignancourt, Montmartre, La Chapelle, La Villette, Belleville, des quartiers où la maladie, la faiblesse sont en permanence. Les malades ont à peine assez de vigueur pour se rétablir. Quand ils entrent, ils sont épuisés déjà et depuis longtemps. On le voit bien après les opérations chirurgicales qui réussissent moins bien qu’ailleurs. Le patient les supporte mal, flotte quelques jours entre la vie et la mort, ne peut parvenir à prendre le dessus et meurt. Il n’en est pas ainsi à Saint-Antoine qui reçoit la vigoureuse population du faubourg, à Necker qui confine aux grands quartiers, […] »

C’est l’école naturaliste qui introduisit les hôpitaux dans la littérature romanesque française. Avec Germinie Lacerteux (1865), les frères Edmond et Jules de Goncourt investissent l’hôpital Lariboisière. L’héroïne, domestique de maison bourgeoise, atteinte d’une affection pulmonaire et promise à la mort par une péritonite, y est hospitalisée d’urgence. Les Goncourt ont ici recomposé les souvenirs de la mort à Lariboisière de leur propre servante. Certains passages évoquent, mieux que tous les historiens, l’ambiance de l’hôpital et des rues environnantes au XIXe siècle :

« Mlle de Varandeuil partit pour voir Germinie […] Le fiacre enfila une petite rue [Saint-Vincent-de Paul] pleine de charrettes d’oranges et de femmes qui, assises sur le trottoir, vendaient des biscuits dans des paniers. Il y avait je ne sais quoi de misérable et de lugubre dans cet étal en plein vent de fruits et de gâteaux, douceurs de mourants, viatiques de malades, attendus par la fièvre, espérés par l’agonie et que des mains de travail, toutes noires, prenaient en passant pour porter à l’hôpital et faire bonne bouche à la mort. […]
Le fiacre s’arrêta devant la grille de la cour. […] À la porte se pressait une queue de femmes, avec leurs robes des jours ouvriers, serrées, sombres, douloureuses et silencieuses. Mlle de Varandeuil se mit à la queue, avança avec les autres, entra : on la fouilla. Elle demanda la salle Sainte-Joséphine, on lui indiqua le second pavillon au second. Elle trouva la salle, puis le lit, le lit 14 qui était, comme on le lui avait dit, un des derniers à droite. D’ailleurs, elle y fut comme appelée, du bout de la salle, par le sourire de Germinie, ce sourire des malades d’hôpital à une visite inattendue qui dit si doucement, dès qu’on entre : – c’est moi, ici ».

Germinie Lacerteux sur son lit de mort

Après la mort de Germinie, l’évocation est encore plus précise :

« Arrivée à Lariboisière, Mlle de Varandeuil passa devant le concierge, un gros homme puant la vie comme on pue le vin, traversa les corridors où glissaient des convalescents pâles et sonna tout au bout de l’hôpital à une porte voilée de rideaux blancs. On ouvrit : elle se trouva dans un parloir éclairé de deux fenêtres, où une Sainte Vierge de plâtre était posée sur un autel, entre deux vues du Vésuve qui semblaient frissonner là, contre le mur nu. Derrière elle, d’une porte ouverte, sortait un caquetage de sœurs et de petites filles, un bruit de jeunes voix et de frais sourires, la gaieté d’une pièce blanche où le soleil s’amuse avec des enfants qui jouent.
Mlle de Varandeuil demanda à parler à la Mère de la salle Sainte-Joséphine. Il vint une sœur petite, à demi bossue, avec une figure laide et bonne, une figure à la grâce de Dieu. Germinie était morte entre ses bras. […]
Comme elle sortait de là : – Voulez-vous reconnaître le corps ? lui dit un garçon en s’approchant. […] Sans attendre sa réponse, le garçon se mit à marcher devant elle jusqu’à une grande porte jaunâtre au-dessus de laquelle était écrit : « Amphithéâtre ». Il cogna. Un homme en bras de chemise, un brûle-gueule à la bouche, entrouvrit la porte et lui dit d’attendre un instant […] Mademoiselle ne vit rien qu’une bière, dont le couvercle ne montant que jusqu’au cou laissait voir de Germinie les yeux ouverts, les cheveux droits sur la tête. »

En 1877, c’est Émile Zola qui évoque Lariboisière à l’incipit de son célèbre roman L’Assommoir. Il y fait jouer la double symbolique du rouge et du blanc, des abattoirs et de l’hôpital :

« L’hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière Poissonnière. […] Gervaise regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants ; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d’avenue, s’arrêtant presque en face d’elle, à la masse blanche de l’hôpital de Lariboisière, alors en construction. »

Coupeau, le mari de Gervaise, sera l’un des ouvriers collaborant à la construction. Plus tard, son hospitalisation donnera lieu à une nouvelle description, qui insiste sur la présence de la mort :

« Gervaise l’accompagna à Lariboisière, regarda les infirmiers le coucher, au bout d’une grande salle où les malades à la file, avec des mines de trépassés, se soulevaient et suivaient de yeux le camarade qu’on amenait ; une jolie crevaison là-dedans, une odeur de fièvre à suffoquer et une musique de poitrinaire à vous faire cracher vos poumons ; sans compter que la salle avait l’air d’un petit Père-Lachaise, bordée de lits tout blancs, une vraie allée de tombeaux. »

Au XXe siècle, devenu typique du paysage parisien, Lariboisière a servi de cadre à des scènes de films, dont les plus célèbres sont Les Portes de la nuit et Hôtel du Nord de Marcel Carné. Tous deux donnent une idée précise du service de chirurgie dans les années 30, mais aussi, pour le premier, une vision poétique du Lariboisière nocturne.
Il y eut aussi quelques célèbres hospitalisés à Lariboisière: en janvier 1929 y mourut Louise Weber, la célèbre Goulue de Toulouse-Lautrec, ancienne reine du quadrille du Moulin rouge, qui avait sombré dans la misère. En 1889, le chanteur et compositeur de cabaret Mac Nab l’avait précédée, comme Gaston Couté, poète paysan et révolutionnaire du Montmartre de la haute époque qui y mourut sous-alimenté et à bout de force en 1911. Le 28 septembre 1966, c’est l’un des plus grands poètes du XXe siècle, le surréaliste André Breton qui mourut, d’un arrêt du cœur, à Lariboisière, après une trachéotomie qui avait tenté, en vain, de soigner une crise d’asthme aiguë1 . Django Reinhardt y fut transporté en urgence après l’incendie de sa roulotte, et amputé de deux doigts de la main gauche : il avait 19 ans, et son auto-rééducation à la guitare laissa les médecins sidérés. Un autre très grand poète, Max Jacob, y fut hospitalisé en 1919 après un accident de voiture place Pigalle. Il fit une relation de son séjour de plusieurs semaines, relation humoristique, mais qui dénonce les conditions déplorables de l’hospitalisation d’alors, dans Nuits d’hôpital2 :

« Ah ! Monsieur l’interne, vous paraissiez bon, attentif et humain, pourquoi m’abandonner à demi nu sur une chaise de fer et seul ? […] Combien de temps suis-je demeuré […] dans un préau, pendant cette froide nuit du 27 janvier, je ne sais. […] Le lendemain, des hommes aussi distingués que savants se demandèrent à mon chevet comment les roues d’une voiture pouvaient déterminer une congestion pulmonaire. […] « C’est une congestion pulmonaire qui ne demandait qu’à se déclarer », dit l’un. « Il était dans un état de faiblesse extraordinaire », dit un autre […] « Il faut l’envoyer à la radiographie ! » dit un savant génie déguisé en parfait homme du monde.
[…] Ô séjour apaisant ! La main de l’humanité intelligente a disposé les lignes calmes et les couleurs blanches pour faire de la salle où je suis un séjour apaisant […] Chloral, bromure et véronal collaboreront avec les astres pour maintenir l’harmonie naturelle. Précédant et suivant mon beau sommeil et le coupant même parfois quand ils ont lieu l’un et l’autre à quatre heures du matin, les repas feront une agréable diversion à ma rêverie et à mes rêves. »

Il retournera voir l’hôpital, quelques mois plus tard « tel le criminel qui revient au coin fatal », et, contemplant d’un banc du boulevard Magenta l’enfilade de la rue Saint-Vincent-de-Paul et « l’arc de triomphe » du porche d’entrée, composera un hymne à Lariboisière :

« Hôpital, mausolée des vivants, tu es entre deux gares, gare toi-même pour les départs d’où on ne revient pas. Je m’agenouille en pensée devant ton seuil […] L’hôpital, c’est la gare : les voyageurs pour le pays des ombres ! Les voyageurs pour une autre santé ! Les voyageurs pour une nouvelle vie ! Ou pour la même quand vous aurez changé de ton ! »

Nicole Jacques-Lefèvre © Les Amis du Louxor

Notes :

1. Mark Polizzoti, André Breton, Gallimard, « Biographies », 1995, p. 707-708.
2. Dans le recueil Le Roi de Béotie, NRF, 1921.

Pour en savoir plus sur l’histoire de Lariboisière :

– Samuel TISSOT, Mémoire pour la construction d’un hôpital clinique, dans Essai sur les études médicales, Lausanne, 1785.
– J. DU LAURENS, Moyens de rendre les hôpitaux utiles et de perfectionner la médecine, Paris, 1787.
– Jacques-René TENON, Mémoires sur les hôpitaux, Paris, 1788.
– Pierre-Jean-Georges CABANIS, Observations sur les hôpitaux, Paris, 1790.
– Michel FOUCAULT, Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, PUF, 1963.
– Michel FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972
– John D. THOMPSON and Grace GOLDIN, The Hospital : A Social and Architectural History, Londres, Yale University Press, 1975.
L’architecture hospitalière au XIXe siècle. L’exemple parisien, Paris, « Les dossiers du musée d’Orsay », 1988.
– Michel FOUCAULT, Blandine BARRET-KRIEGEL, Anne THALAMY, François BEGUIN, BRUNO Fortier, Les machines à guérir. Aux origines de l’hôpital moderne, Institut de l’environnement, Mardaga, « Dossiers et documents d’architecture », 1995.
– Jean-Paul MARTINEAUD, Une histoire de l’hôpital Lariboisière. Le Versailles de la misère, Paris, L’Harmattan, 1998.
– Michel CABAL, Hôpitaux, Corps et âmes, Paris, Rempart-Desclée de Brouwer, 2001.
– « Le monde hospitalier du 10e » et « La santé dans le 10e », Histoire & Vies du 10e, n°3 et 4, 2005.

Souvenirs du Louxor


C’était le temps ou le bonhomme en bois faisait la publicité (on disait alors la réclame) du grand magasin de meubles des Galeries Barbès.

Catalogue des Galeries Barbès

Catalogue des Galeries Barbès

J’étais enfant, et j’habitais alors au n° 14 de la rue des Poissonniers, juste en face de la sortie du Barbès Palace, dont l’entrée (aujourd’hui magasin Kata) se trouvait Boulevard Barbès. Les cinémas alors ne manquaient pas et étaient très fréquentés dans ce quartier ouvrier. Outre le Barbès Palace, j’étais spectatrice au Myrha Palace, au Delta (où j’ai vu La Ciocciara de De Sica), à La Gaîté Rochechouart (ou j’ai vu Les canons de Navarone), et, bien sûr, au Louxor, dont j’admirais déjà les mosaïques de la façade, mais dont la salle n’avait alors conservé aucune de ses splendeurs d’antan. J’allais de préférence au balcon, mais il fallait arriver tôt, car je n’étais pas grande, et dès le deuxième rang, je ne voyais plus grand chose… C’était alors un cinéma de quartier comme les autres, où j’ai vu en particulier (deux fois de suite dans la même après-midi, tant cela m’avait plu), Les Trois Mousquetaires de Hunebelle. Il faut dire que je connaissais le livre presque par cœur.

Mais un de mes souvenirs les plus marquants est celui d’un court-métrage d’Alain Resnais sur la Bibliothèque Nationale : « Toute la mémoire du monde » . La projection d’un film était alors en effet toujours précédée des actualités, et d’un court-métrage. Celui-ci est sorti en 1956, j’avais alors 10 ans, mais a-t-il été programmé au Louxor aussitôt ? … j’avoue que mes souvenirs ne sont pas aussi précis, mais je pense que j’étais plus âgée lorsque je l’ai vu. Ce dont au contraire je me souviens fort bien, c’est que cette projection avait été pour moi source à la fois de fascination et d’un léger écœurement. Il faut dire que j’avais un peu trop mangé d’un délicieux clafouti aux cerises cuisiné par ma mère, et que les vertigineux travellings de Resnais dans les sous-sols de la Bibliothèque Nationale avaient ajouté à mon malaise interne … Cette projection a-t-elle été pour quelque chose dans ma vocation de recherche en littérature ? Je ne savais pas alors que je passerais plus tard tant d’heures heureuses au milieu des livres dans ce lieu magnifique, mais le spectacle de tant d’ouvrages, de documents, et cette fabuleuse relation au passé m’avaient éblouie.

Nicole Jacques-Lefèvre
Professeur émérite de Littérature du XVIIIe siècle
Université Paris X-Nanterre

La dernière séance

29 novembre 1983 : le Louxor ferme ses portes

« Il n’a plus aucune chance
C’était sa dernière séance
Et le rideau sur l’écran est tombé
»

Souvenez-vous : en 1977, Eddy Mitchell chantait déjà le triste « destin d’un cinéma de quartier ». Dans ces années-là, les salles de quartier fermaient les unes après les autres,  dans l’indifférence quasi  générale.

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« Louxor, Palais du cinéma », poème de Chantal Bizzini

Chantal Bizzini, poète et traductrice, née en 1956, vit à Paris, où elle enseigne les lettres classiques. Ses poèmes, ainsi que des traductions de poésie anglo-saxonne — notamment d’Ezra Pound, Hart Crane, W.H. Auden, Adrienne Rich, Denise Levertov, John Ashbery, Clayton Eshleman, Jorie Graham — et italienne, ont été publiés dans diverses revues : Po&sie, Europe, Poésie 2008, Action Poétique, Le Mâche-Laurier, Rehauts, Siècle 21. Sa traduction des œuvres poétiques complètes de Hart Crane doit paraître aux éditions Circé, ainsi qu’une anthologie de poèmes d’Adrienne Rich, pour le même éditeur.
Ce poème a été publié dans le n° 888 de la revue Europe.


LOUXOR, PALAIS DU CINÉMA

Descendant l’avenue froide,
la foule pressée, houleuse,
piétine, trébuche sur le trottoir inégal,
glisse sur les déchets de toutes sortes,
arrêtée dans sa coulée par un mendiant unijambiste, un enfant
montrant ses bras difformes, une femme à fichu et lunettes
coffrée dans un sarcophage de cartons,
un vendeur de marrons, charbonneux
— odeur de mauvais combustible —
retournant ses trucs dans un réchaud calé sur un caddie ;
vitrines, parures de mariage
brillant, brillant
sur des mannequins de celluloïd aux poses d’un autre temps,
dentelles synthétiques de chemisiers en plein vent,
chaussures en vrac, de toutes tailles, sales d’être là,
pour quelle fille moderne aux goûts apprêtés ?

La pluie s’écoule dans la station rongée de rouille et patinée de crasse,
les pigeons y trouvent à ronger des trognons de maïs
ou des bouts de sandwich grec gras, sur des planches ;
entre des rambardes neuves,
trois hommes sont couchés, enveloppés,
nimbés d’une odeur étrange.
Attentes, le quai s’emplit de monde.
Le palais est là, derrière les vitres dépolies,
l’or de ses ornements hiéroglyphiques,
le jade et le turquoise
de sa mosaïque, revivent le soir,
et le palais abandonné se lève
dans une ville aux carrefours enfin libres du trafic
et du tonnerre du métro qui arrive,
touché par la lumière à l’instant
où le reste s’abolit à contre-jour.

le Louxor, côté boulevard de la Chapelle

 Louxor-Palais du Cinéma

Le regard suit les rails, la perspective ;
dans la tranchée du ciel qu’ouvre le pont de fer de la ligne,
les nuages s’éclairent ;
des travailleurs se saluent ou se laissent
prendre par un demi-sommeil enfantin ;
bientôt, de nouveau sous terre dans la pénombre du boyau
grossièrement graphé,

Le chrome, c’est la couleur de l’arrache
La ville, c’est un truc
qui est fait pour être toujours cassé
On déchire les murs
pour faire pleurer les aveugles
Pour moi, le côté vandale, c’est la base du truc
Je me sens plus vandale
que rebelle. Je préfère la définition de vandale ;
les mecs qui lacèrent les sièges, qui cassent des vitrines
ça me fait délirer. Je trouve que ça va bien avec la société actuelle

nous filons, secoués et assourdis,
oubliant l’avènement d’un autre jour,
le mirage, le palais,
hier, le palais aux colonnettes d’albâtre
naissant de lotus épanouis
parmi les trottoirs encombrés d’étalages qui dégringolent,
de revendeurs de parfums ou de T.shirts.

Vers la Chapelle, Stalingrad,
le long des voies, des rails et des fils, se lèvent des paysages,
annoncés par les minces gazons des bordures, les balustrades de fer,
passerelles étroites et inaccessibles,
balisés des signaux étranges d’une contrée
hors des cartes
et nous passons
devant les immeubles
murés, endommagés, effrités,
effondrés où s’avance le chantier qui abat,
éventre, montre
ce que les façades cachent encore : ces îlots
avec la fontaine et l’arbre,
abris et repos anachroniques,
les appentis aux toits bas,
la vie maladive, les squats, les logements aveugles,
les rues palissadées et lépreuses
où l’on dit que des enfants se vendent.

Le charbon de leurs yeux,
la menthe de leur souffle.

Chantal Bizzini

Défense du projet Louxor

.Le 21 juillet 2009, le blog du Moniteur publiait un entrefilet intitulé « Sauver le Louxor » relayant une pétition d’opposants au projet de réhabilitation du Louxor. Cette pétition n’est qu’un élément d’une campagne de dénigrement systématique qui dure depuis des mois.
Notre association s’efforce avant tout de fournir des informations précises sur le projet et de mieux faire connaître ce cinéma historique. Mais s’il est normal qu’un projet suscite critique, débat et controverse, il est en revanche choquant d’accumuler les contre-vérités dans le but de le discréditer.

C’est pourquoi il nous semble indispensable de rétablir la vérité des faits lorsqu’elle est aussi caricaturalement déformée.

Nous soutenons sans réserve le projet de réhabilitation de ce cinéma conçu par l’architecte Philippe Pumain pour la Ville de Paris qui va permettre au Louxor, abandonné depuis plus de 25 ans, de retrouver enfin sa dignité patrimoniale et son utilité sociale.

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