Où irons-nous prendre un verre ou dîner à la sortie d’une séance au Louxor ? C’est une question qu’on ne se posait pas au début du XXe siècle. De chaque côté du boulevard Barbès, et sur le boulevard Magenta, de grandes brasseries accueillaient les promeneurs, de grands magasins proposaient à la fois divertissements et restauration, des restaurants leurs salles confortables. Offrons nous une promenade dans ce Barbès révolu mais dont la réouverture du Louxor pourrait être le signe avant-coureur d’une renaissance…
Côté pair du Boulevard Barbès, on trouvait la brasserie CHARLES, qui figure dans l’annuaire Didot Bottin 19081, et dont on distingue le nom sur une carte postale :
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Près du Louxor : Nadja et les sphinx
Le Xe arrondissement, appelé l’arrondissement des hôtels en raison de leur grand nombre autour des gares, a également toujours eu des relations privilégiées avec l’Égypte : la Porte Saint-Denis, les sphinx de l’hôtel Gouthière, la rue du Delta, les Promenades égyptiennes avec leurs montagnes russes rebaptisées « égyptiennes », deux curieuses sphinges ailées au 64 boulevard de Strasbourg, et bien sûr le Louxor…
Félix Pyat, dramaturge, élu du Xe pendant la Commune
23 mai 2011 : cérémonie à la mairie du Xe
Du 12 au 18 septembre 1924, le film Le Chiffonnier de Paris était projeté au Louxor. Dans un article précédent, «Au temps du muet II. Les métamorphoses du Chiffonnier de Paris», Nicole Jacques-Lefèvre avait présenté la «destinée complexe» de ce mélodrame et évoqué la personnalité de son auteur, Félix Pyat (1810-1889), dont s’étaient inspirés successivement les réalisateurs de films Émile Chautard (1913) et Serge Nadejdine (1924).
Sortir à Barbès en 1921
Le 15 novembre 2010, Dominique Delord, chercheuse en histoire culturelle, a donné dans la grande salle de la mairie du XVIIIe arrondissement une conférence consacrée aux spectacles proposés aux habitants de Barbès au moment de l’ouverture du cinéma Louxor, le 6 octobre 1921. Cette conférence, qui était co-organisée par l’association des Amis du Louxor et Histoire et Vies du 10e, a réuni plus de 130 personnes. Nous remercions Daniel Vaillant, maire du 18e, Carine Rolland, adjointe à la culture, Sylvain Lamothe, chargé de mission culture, et tous les personnels pour leur accueil et l’aide qu’ils nous ont apportée.
Le quartier Barbès dans la littérature
Depuis le XIXe siècle, le quartier Barbès a été fréquenté par de nombreux écrivains et artistes, et a inspiré diverses représentations. Depuis les Goncourt et Zola, il est devenu un lieu romanesque.
Dans cette nouvelle rubrique, nous nous efforcerons, afin de réinscrire le Louxor dans son contexte, de réunir les textes et images les plus représentatifs de cet intérêt de la littérature et des beaux-arts pour ce quartier, ses habitants, ses bâtiments et ses rues.
Aujourd’hui, l’Hôpital Lariboisière.
L’hôpital Lariboisière dans la littérature
L’hôpital Lariboisière est né de la confrontation d’un programme utopique, celui des médecins du siècle des Lumières et des acteurs politiques de la Révolution française, avec les besoins spécifiques d’un quartier dépourvu d’équipement hospitalier. Ce programme architectural et médical, associant étroitement médecins, architectes, industriels et politiques, fut repris et repensé au XIXe siècle, et c’est entre les faubourgs Saint-Denis et Poissonnière, sur le site alors appelé « le Clos Saint-Lazare », qu’il sera construit entre 1846 et 1854, à l’épicentre des quartiers qu’il doit desservir. Axé sur la rue d’Hauteville qui s’arrête sur l’entrée principale (ce tronçon, depuis le boulevard de Magenta, est aujourd’hui la rue Saint-Vincent-de-Paul), l’hôpital est alors adossé au chemin de ronde des barrières.
D’abord adapté, avec les moyens d’époque, aux spécificités d’une population pauvre, il est un élément fonctionnel essentiel de l’espace urbain du nord de Paris. Il a participé à son histoire, celle de sa population longtemps ouvrière, celle des épidémies (choléra, tuberculose, etc… ), celle des Révolutions (1948, Commune ), celle des guerres (1914-1918, 1940-1945 ) qui ont parfois été facteurs déterminants de son évolution. Considéré comme un modèle de construction hospitalière, tant par son architecture que par les règles d’hygiène qu’on y applique, il est néanmoins, dès les premières années de son fonctionnement, confronté aux problèmes posés par la misère. Le chroniqueur Maxime du Camp, plus connu pour ses récits de voyage ou ses Souvenirs littéraires, où il fait le portrait de nombreux écrivains, dont ses grands amis Gustave Flaubert et Théophile Gautier, s’en fait l’écho dans Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie (1869-1875 ; rééd. Monaco, Rondeau, 1993 ) :
« On a parlé de vices possibles de la construction, mais on n’a pas vu que, par le milieu même qu’il est appelé à desservir, l’hôpital Lariboisière accueille la partie la plus chétive, la plus anémique de la population de Paris. Il est forcément le réceptacle de tous les cas morbides qui viennent de Clignancourt, Montmartre, La Chapelle, La Villette, Belleville, des quartiers où la maladie, la faiblesse sont en permanence. Les malades ont à peine assez de vigueur pour se rétablir. Quand ils entrent, ils sont épuisés déjà et depuis longtemps. On le voit bien après les opérations chirurgicales qui réussissent moins bien qu’ailleurs. Le patient les supporte mal, flotte quelques jours entre la vie et la mort, ne peut parvenir à prendre le dessus et meurt. Il n’en est pas ainsi à Saint-Antoine qui reçoit la vigoureuse population du faubourg, à Necker qui confine aux grands quartiers, […] »
C’est l’école naturaliste qui introduisit les hôpitaux dans la littérature romanesque française. Avec Germinie Lacerteux (1865), les frères Edmond et Jules de Goncourt investissent l’hôpital Lariboisière. L’héroïne, domestique de maison bourgeoise, atteinte d’une affection pulmonaire et promise à la mort par une péritonite, y est hospitalisée d’urgence. Les Goncourt ont ici recomposé les souvenirs de la mort à Lariboisière de leur propre servante. Certains passages évoquent, mieux que tous les historiens, l’ambiance de l’hôpital et des rues environnantes au XIXe siècle :
« Mlle de Varandeuil partit pour voir Germinie […] Le fiacre enfila une petite rue [Saint-Vincent-de Paul] pleine de charrettes d’oranges et de femmes qui, assises sur le trottoir, vendaient des biscuits dans des paniers. Il y avait je ne sais quoi de misérable et de lugubre dans cet étal en plein vent de fruits et de gâteaux, douceurs de mourants, viatiques de malades, attendus par la fièvre, espérés par l’agonie et que des mains de travail, toutes noires, prenaient en passant pour porter à l’hôpital et faire bonne bouche à la mort. […]
Le fiacre s’arrêta devant la grille de la cour. […] À la porte se pressait une queue de femmes, avec leurs robes des jours ouvriers, serrées, sombres, douloureuses et silencieuses. Mlle de Varandeuil se mit à la queue, avança avec les autres, entra : on la fouilla. Elle demanda la salle Sainte-Joséphine, on lui indiqua le second pavillon au second. Elle trouva la salle, puis le lit, le lit 14 qui était, comme on le lui avait dit, un des derniers à droite. D’ailleurs, elle y fut comme appelée, du bout de la salle, par le sourire de Germinie, ce sourire des malades d’hôpital à une visite inattendue qui dit si doucement, dès qu’on entre : – c’est moi, ici ».
Après la mort de Germinie, l’évocation est encore plus précise :
« Arrivée à Lariboisière, Mlle de Varandeuil passa devant le concierge, un gros homme puant la vie comme on pue le vin, traversa les corridors où glissaient des convalescents pâles et sonna tout au bout de l’hôpital à une porte voilée de rideaux blancs. On ouvrit : elle se trouva dans un parloir éclairé de deux fenêtres, où une Sainte Vierge de plâtre était posée sur un autel, entre deux vues du Vésuve qui semblaient frissonner là, contre le mur nu. Derrière elle, d’une porte ouverte, sortait un caquetage de sœurs et de petites filles, un bruit de jeunes voix et de frais sourires, la gaieté d’une pièce blanche où le soleil s’amuse avec des enfants qui jouent.
Mlle de Varandeuil demanda à parler à la Mère de la salle Sainte-Joséphine. Il vint une sœur petite, à demi bossue, avec une figure laide et bonne, une figure à la grâce de Dieu. Germinie était morte entre ses bras. […]
Comme elle sortait de là : – Voulez-vous reconnaître le corps ? lui dit un garçon en s’approchant. […] Sans attendre sa réponse, le garçon se mit à marcher devant elle jusqu’à une grande porte jaunâtre au-dessus de laquelle était écrit : « Amphithéâtre ». Il cogna. Un homme en bras de chemise, un brûle-gueule à la bouche, entrouvrit la porte et lui dit d’attendre un instant […] Mademoiselle ne vit rien qu’une bière, dont le couvercle ne montant que jusqu’au cou laissait voir de Germinie les yeux ouverts, les cheveux droits sur la tête. »
En 1877, c’est Émile Zola qui évoque Lariboisière à l’incipit de son célèbre roman L’Assommoir. Il y fait jouer la double symbolique du rouge et du blanc, des abattoirs et de l’hôpital :
« L’hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière Poissonnière. […] Gervaise regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants ; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d’avenue, s’arrêtant presque en face d’elle, à la masse blanche de l’hôpital de Lariboisière, alors en construction. »
Coupeau, le mari de Gervaise, sera l’un des ouvriers collaborant à la construction. Plus tard, son hospitalisation donnera lieu à une nouvelle description, qui insiste sur la présence de la mort :
« Gervaise l’accompagna à Lariboisière, regarda les infirmiers le coucher, au bout d’une grande salle où les malades à la file, avec des mines de trépassés, se soulevaient et suivaient de yeux le camarade qu’on amenait ; une jolie crevaison là-dedans, une odeur de fièvre à suffoquer et une musique de poitrinaire à vous faire cracher vos poumons ; sans compter que la salle avait l’air d’un petit Père-Lachaise, bordée de lits tout blancs, une vraie allée de tombeaux. »
Au XXe siècle, devenu typique du paysage parisien, Lariboisière a servi de cadre à des scènes de films, dont les plus célèbres sont Les Portes de la nuit et Hôtel du Nord de Marcel Carné. Tous deux donnent une idée précise du service de chirurgie dans les années 30, mais aussi, pour le premier, une vision poétique du Lariboisière nocturne.
Il y eut aussi quelques célèbres hospitalisés à Lariboisière: en janvier 1929 y mourut Louise Weber, la célèbre Goulue de Toulouse-Lautrec, ancienne reine du quadrille du Moulin rouge, qui avait sombré dans la misère. En 1889, le chanteur et compositeur de cabaret Mac Nab l’avait précédée, comme Gaston Couté, poète paysan et révolutionnaire du Montmartre de la haute époque qui y mourut sous-alimenté et à bout de force en 1911. Le 28 septembre 1966, c’est l’un des plus grands poètes du XXe siècle, le surréaliste André Breton qui mourut, d’un arrêt du cœur, à Lariboisière, après une trachéotomie qui avait tenté, en vain, de soigner une crise d’asthme aiguë1 . Django Reinhardt y fut transporté en urgence après l’incendie de sa roulotte, et amputé de deux doigts de la main gauche : il avait 19 ans, et son auto-rééducation à la guitare laissa les médecins sidérés. Un autre très grand poète, Max Jacob, y fut hospitalisé en 1919 après un accident de voiture place Pigalle. Il fit une relation de son séjour de plusieurs semaines, relation humoristique, mais qui dénonce les conditions déplorables de l’hospitalisation d’alors, dans Nuits d’hôpital2 :
« Ah ! Monsieur l’interne, vous paraissiez bon, attentif et humain, pourquoi m’abandonner à demi nu sur une chaise de fer et seul ? […] Combien de temps suis-je demeuré […] dans un préau, pendant cette froide nuit du 27 janvier, je ne sais. […] Le lendemain, des hommes aussi distingués que savants se demandèrent à mon chevet comment les roues d’une voiture pouvaient déterminer une congestion pulmonaire. […] « C’est une congestion pulmonaire qui ne demandait qu’à se déclarer », dit l’un. « Il était dans un état de faiblesse extraordinaire », dit un autre […] « Il faut l’envoyer à la radiographie ! » dit un savant génie déguisé en parfait homme du monde.
[…] Ô séjour apaisant ! La main de l’humanité intelligente a disposé les lignes calmes et les couleurs blanches pour faire de la salle où je suis un séjour apaisant […] Chloral, bromure et véronal collaboreront avec les astres pour maintenir l’harmonie naturelle. Précédant et suivant mon beau sommeil et le coupant même parfois quand ils ont lieu l’un et l’autre à quatre heures du matin, les repas feront une agréable diversion à ma rêverie et à mes rêves. »
Il retournera voir l’hôpital, quelques mois plus tard « tel le criminel qui revient au coin fatal », et, contemplant d’un banc du boulevard Magenta l’enfilade de la rue Saint-Vincent-de-Paul et « l’arc de triomphe » du porche d’entrée, composera un hymne à Lariboisière :
« Hôpital, mausolée des vivants, tu es entre deux gares, gare toi-même pour les départs d’où on ne revient pas. Je m’agenouille en pensée devant ton seuil […] L’hôpital, c’est la gare : les voyageurs pour le pays des ombres ! Les voyageurs pour une autre santé ! Les voyageurs pour une nouvelle vie ! Ou pour la même quand vous aurez changé de ton ! »–
Nicole Jacques-Lefèvre © Les Amis du Louxor
Notes :
1. Mark Polizzoti, André Breton, Gallimard, « Biographies », 1995, p. 707-708.
2. Dans le recueil Le Roi de Béotie, NRF, 1921.
Pour en savoir plus sur l’histoire de Lariboisière :
– Samuel TISSOT, Mémoire pour la construction d’un hôpital clinique, dans Essai sur les études médicales, Lausanne, 1785.
– J. DU LAURENS, Moyens de rendre les hôpitaux utiles et de perfectionner la médecine, Paris, 1787.
– Jacques-René TENON, Mémoires sur les hôpitaux, Paris, 1788.
– Pierre-Jean-Georges CABANIS, Observations sur les hôpitaux, Paris, 1790.
– Michel FOUCAULT, Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, PUF, 1963.
– Michel FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972
– John D. THOMPSON and Grace GOLDIN, The Hospital : A Social and Architectural History, Londres, Yale University Press, 1975.
– L’architecture hospitalière au XIXe siècle. L’exemple parisien, Paris, « Les dossiers du musée d’Orsay », 1988.
– Michel FOUCAULT, Blandine BARRET-KRIEGEL, Anne THALAMY, François BEGUIN, BRUNO Fortier, Les machines à guérir. Aux origines de l’hôpital moderne, Institut de l’environnement, Mardaga, « Dossiers et documents d’architecture », 1995.
– Jean-Paul MARTINEAUD, Une histoire de l’hôpital Lariboisière. Le Versailles de la misère, Paris, L’Harmattan, 1998.
– Michel CABAL, Hôpitaux, Corps et âmes, Paris, Rempart-Desclée de Brouwer, 2001.
– « Le monde hospitalier du 10e » et « La santé dans le 10e », Histoire & Vies du 10e, n°3 et 4, 2005.
« Louxor, Palais du cinéma », poème de Chantal Bizzini
Chantal Bizzini, poète et traductrice, née en 1956, vit à Paris, où elle enseigne les lettres classiques. Ses poèmes, ainsi que des traductions de poésie anglo-saxonne — notamment d’Ezra Pound, Hart Crane, W.H. Auden, Adrienne Rich, Denise Levertov, John Ashbery, Clayton Eshleman, Jorie Graham — et italienne, ont été publiés dans diverses revues : Po&sie, Europe, Poésie 2008, Action Poétique, Le Mâche-Laurier, Rehauts, Siècle 21. Sa traduction des œuvres poétiques complètes de Hart Crane doit paraître aux éditions Circé, ainsi qu’une anthologie de poèmes d’Adrienne Rich, pour le même éditeur.
Ce poème a été publié dans le n° 888 de la revue Europe.
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LOUXOR, PALAIS DU CINÉMA
Descendant l’avenue froide,
la foule pressée, houleuse,
piétine, trébuche sur le trottoir inégal,
glisse sur les déchets de toutes sortes,
arrêtée dans sa coulée par un mendiant unijambiste, un enfant
montrant ses bras difformes, une femme à fichu et lunettes
coffrée dans un sarcophage de cartons,
un vendeur de marrons, charbonneux
— odeur de mauvais combustible —
retournant ses trucs dans un réchaud calé sur un caddie ;
vitrines, parures de mariage
brillant, brillant
sur des mannequins de celluloïd aux poses d’un autre temps,
dentelles synthétiques de chemisiers en plein vent,
chaussures en vrac, de toutes tailles, sales d’être là,
pour quelle fille moderne aux goûts apprêtés ?
La pluie s’écoule dans la station rongée de rouille et patinée de crasse,
les pigeons y trouvent à ronger des trognons de maïs
ou des bouts de sandwich grec gras, sur des planches ;
entre des rambardes neuves,
trois hommes sont couchés, enveloppés,
nimbés d’une odeur étrange.
Attentes, le quai s’emplit de monde.
Le palais est là, derrière les vitres dépolies,
l’or de ses ornements hiéroglyphiques,
le jade et le turquoise
de sa mosaïque, revivent le soir,
et le palais abandonné se lève
dans une ville aux carrefours enfin libres du trafic
et du tonnerre du métro qui arrive,
touché par la lumière à l’instant
où le reste s’abolit à contre-jour.
Le regard suit les rails, la perspective ;
dans la tranchée du ciel qu’ouvre le pont de fer de la ligne,
les nuages s’éclairent ;
des travailleurs se saluent ou se laissent
prendre par un demi-sommeil enfantin ;
bientôt, de nouveau sous terre dans la pénombre du boyau
grossièrement graphé,
Le chrome, c’est la couleur de l’arrache
La ville, c’est un truc
qui est fait pour être toujours cassé
On déchire les murs
pour faire pleurer les aveugles
Pour moi, le côté vandale, c’est la base du truc
Je me sens plus vandale
que rebelle. Je préfère la définition de vandale ;
les mecs qui lacèrent les sièges, qui cassent des vitrines
ça me fait délirer. Je trouve que ça va bien avec la société actuelle
nous filons, secoués et assourdis,
oubliant l’avènement d’un autre jour,
le mirage, le palais,
hier, le palais aux colonnettes d’albâtre
naissant de lotus épanouis
parmi les trottoirs encombrés d’étalages qui dégringolent,
de revendeurs de parfums ou de T.shirts.
Vers la Chapelle, Stalingrad,
le long des voies, des rails et des fils, se lèvent des paysages,
annoncés par les minces gazons des bordures, les balustrades de fer,
passerelles étroites et inaccessibles,
balisés des signaux étranges d’une contrée
hors des cartes
et nous passons
devant les immeubles
murés, endommagés, effrités,
effondrés où s’avance le chantier qui abat,
éventre, montre
ce que les façades cachent encore : ces îlots
avec la fontaine et l’arbre,
abris et repos anachroniques,
les appentis aux toits bas,
la vie maladive, les squats, les logements aveugles,
les rues palissadées et lépreuses
où l’on dit que des enfants se vendent.
Le charbon de leurs yeux,
la menthe de leur souffle.
— Chantal Bizzini